Fenêtres Open Space

site d’Anne Savelli

Quelques décalages

dimanche 31 Octobre 2021, par Anne Savelli

Évidemment, il est assez drôle d’entamer la rédaction de cet article, voué à la question du décalage, le matin même du passage à l’heure d’hiver, dans ce creux du dimanche que nous connaissons tous : je devrais me reprocher d’avoir traîné (ce que j’ai fait), au lieu de quoi il est encore tôt.

Le choix de la photo, aussi, prise alors que j’avais rendez-vous à dix heures près de la gare Saint-Lazare, que j’avais donc une demi-heure à perdre, ce qui aurait été de l’ordre du luxe si j’avais en ce moment une existence pleine comme un œuf ou, plus certainement, si le temps de vie pouvait, par un tour de magie, se convertir en écriture concrète. Je suis en effet en train de boucler mon chapitre 8-9 heures de Bruits, une partie de 10-11 est déjà écrite tandis que 9-10 reste à inventer. En regardant cette photo prise à la volée, je me demande ce matin où sont les silhouettes que je jette dans mon livre par poignées, parfois m’y attardant, parfois non. Je me demande si, immobiles, immuable famille, elles prennent la pose en m’attendant où si, tels le gilet jaune masqué sur trottinette (tous les signes du présent, n’est-ce pas ?), elles ne disparaissent pas une fois pour toutes du cadre.

Bon, c’est un peu jouer, que de commencer comme ça. Jouer à l’écrivain, je veux dire. C’est un peu toc, un peu faux — comme de dire "j’écoute les gens autour de moi au café et je m’en inspire, je suis une éponge" ou "je me lève à cinq heures tous les matins pour écrire, j’utilise tel stylo", etc. C’est ne pas parler écriture mais au contraire, se cacher derrière ce qui a été cent fois, mille fois raconté, clichés qui, même vrais, ne sont qu’une façon de dévier le propos.

Que dire, alors ? Tout ce que je vais écrire maintenant va devenir suspect, puisque je viens de distiller le fameux soupçon de Sarraute, de rompre le pacte avec le lecteur : est-ce de l’écriture, le semainier ? Est-ce toujours, ou non, de l’écriture ? Est-ce parce qu’on évoque les éléments admis comme faisant partie du lot (la question du temps passé à écrire, la création de personnages, par exemple) qu’on parle écriture ? Est-ce parce qu’on dit autre chose qu’on n’en parle pas ?

Depuis une ou deux semaines, je raconte ici ce qui pourrait sembler de l’ordre du journal intime, interrogations liées au haut potentiel — sans rien en dire, d’ailleurs. En réalité, je le fais pour une raison précise : parce que je suis en train d’accepter l’idée d’écrire sur le sujet, de lier les particularités HP (certaines d’entre elles en tout cas) à celles d’une forme de création. J’ai accepté de participer à un ouvrage collectif intitulé Dissemblances, dissonances, discordances [1] pour une université italienne en proposant l’idée d’un "article" (comment l’appeler ?) à rendre à la fin du mois, texte dont la longueur peut varier de une à vingt-cinq pages : rien d’effrayant a priori. Simplement, et c’est également ce que j’ai raconté la semaine dernière, je suis encore tétanisée par les difficultés de cette rentrée, même si l’apaisement arrive. Pourquoi se lancer dans autre chose à peine un dossier refermé quand d’autres sont déjà ouverts ? Parce que tout est sans cesse ouvert. On ne fait que mettre en sourdine. Tout est là, en réalité.

En réalité, ce n’est pas de cela dont il devrait être question ici. Je devrais au contraire raconter l’histoire du livre sur Marilyn qui s’appellera (sauf si les représentants font une attaque en entendant ce titre) Musée Marilyn, titre trouvé par Claro qui en sera l’éditeur dès que j’aurai signé le contrat reçu hier dans ma boite mail. Musée Marilyn paraîtra en août 2022 chez Inculte, où j’ai déjà publié Décor Lafayette en 2013.

En réalité, je devrais raconter comment Claro l’a accepté tout de suite alors que je désespérais depuis trois ans, ne trouvant pas qui pouvait m’aider à porter ce livre qui, à moi, me semble pourtant accessible, biographie placée dans un cadre fictionnel de 450 pages d’après mes calculs. Je devrais raconter l’immense soulagement, les trois ans d’écriture malgré les embuches, l’éditrice qui commence par proposer puis refuse, l’acharnement déraisonnable et l’immense documentation, les trois ans d’attente qui ont suivi, la maladie symptôme, etc. Je devrais raconter cela car c’est cela ma fin de semaine : quoi de mieux que de partager le plaisir d’une histoire qui, pour finir, prend sens ?

Quelque chose en moi se décale, là aussi. Quelque chose en moi, peut-être, attend la semaine suivante pour laisser éclater sa joie. J’attends ce contrat depuis le printemps dernier, et aussi depuis 2015. Quelque chose en moi est tapi, à attendre ma signature.

Le plus simple, c’est peut-être plutôt de parler de la seconde photo, celle des livres rapportés du Marché de la poésie malgré l’intention ferme de ne rien acheter et du disque de Marilyn, contenant un livret de photographies, trouvé sur le chemin à l’étal d’une bouquiniste. Ce disque, ou son jumeau, je l’ai prêté à une copine lorsque j’avais 16 ans. Le voilà de retour. Il jure avec le reste et c’est très bien ainsi.

Galerie

Cliquez sur une photo pour avoir le diaporama


[1no comment !

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.