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Ici et maintenant

dimanche 15 Septembre 2019, par Anne Savelli

J’étais en train d’écrire ici depuis une demi-heure, n’ai pas sauvegardé, une mauvaise touche et tout a sauté. J’écrivais sur le temps, celui de l’attente, celui du présent. Je disais qu’ici (idem sur les réseaux sociaux, idem partout), je ne raconte jamais rien de ce qui est privé, ni angoisses ni bonheurs, ne cherche pas à me venger ou à passer mes nerfs. Saint-Germain est un livre qui "tacle" par moments, oui, raconte la stigmatisation, le mépris de classe. Mais pas que. Ce qui compte aujourd’hui, c’est ce moment passé devant la place du Marché, sous les Arcades, à noter dans le carnet des choses sans intérêt, à goûter le soleil et à se voir soi-même, enfant, courant entre les tables devant le café de l’Industrie. C’est revenir dans un lieu qui s’est neutralisé, a perdu de son pouvoir ; apprécier ce qu’il offre sans rien à démontrer, à prouver à personne - à qui, du reste ? Aux serveurs ? À la très jolie femme et sa très jolie fille assises à mes côtés qui regardent ensemble des photos de vacances ? (Le Pouliguen, pour ne pas dire La Baule) (j’observe à la dérobée ce qui ne dépasse pas, s’harmonise au contraire, couleurs des vêtements, des cheveux, grain de peau, gestes, ton de voix) Bien sûr que non.

Pas de temps à perdre avec la démonstration. Au début de la semaine je me demandais comme souvent d’où me vient cette indifférence à ce qu’on pense de moi, socialement parlant. Elle n’a rien à voir avec la froideur - je suis très émotive, très facilement bouleversée, c’est même un handicap par moments, plus souvent que je ne crois, mais avec le temps. Je peux être furieuse, hyper anxieuse, qu’importe : le temps est trop précieux pour chercher à devenir ce qui arrange les autres - c’est l’enfant de Saint-Germain qui parle. Dans Décor Daguerre, on voyait une mère et sa fille courir à travers une ville (c’était cette ville-là) (c’est même cet immeuble-là, cette porte-là, ci-dessus, que vous voyez) pour ne pas rater le début des Demoiselles de Rochefort à la télévision. C’est ce temps-là qui compte, pas celui des cases à cocher. J’ai toujours pensé, et je le pense toujours, que j’ai eu raison de vouloir écrire et de devenir écrivain, raison de n’avoir pas renoncé. Pourtant, je me heurte à beaucoup de silence. Au moment où paraît mon livre (et grand merci aux éditions de L’Attente, qui se démènent, sont là, avec qui partager toute nouvelle qui arrive), si je regarde sur Place des libraires je vois que pour l’instant, il n’apparaît que dans six librairies en France. Six ! Autant dire qu’il n’existe pas. Pas encore, en tout cas. Mais me désespérer sur le manque de place qu’on lui fait, là, ce dimanche où j’écris, n’a aucun intérêt, ne va pas me faire avancer.

Bien sûr, il faudrait plus de confort, moins de solitude et de pression, réussir à gagner sa vie sans repartir de zéro chaque jour, je ne suis pas dans l’ascèse. Parfois, tout de même, certaines choses viennent comme des cadeaux et c’est important alors d’en tenir compte, de les identifier, de les reconnaître (de les savourer). Au lycée international où je me rends pour une réunion de travail, mercredi, l’une des documentalistes m’apprend qu’elle a réussi à commander Franck. Il a mis un ou deux mois pour arriver mais le fait est : un exemplaire neuf est bien là devant moi, que je prends en photo. Depuis des années, les libraires qui le commandent se heurtent aux éditions Stock, qui indiquent le livre épuisé. Est-ce que, soudain, quelque chose se serait débloqué ? Je vérifie sur Internet : en effet, on en trouve des exemplaires neufs. Pour moi, c’est bouleversant. X années d’impuissance, de silence, de renoncement (l’éditeur ne me répondait pas quand je demandais des explications, sans doute par flemme, pas davantage) et voici à nouveau le livre en mouvement. Qu’on le comprenne : le cadeau, ce n’est pas l’éditeur qui me le fait et cette réaction n’a pas de rapport avec la reconnaissance au sens social du terme. Elle est en lien avec la vie tout entière, celle qui me permet d’apprécier le café pris sous les arcades, m’a fait faire les choix que j’ai faits, professionnels comme privés. Ce qui compte c’est le mouvement, encore, toujours, affrontement comme fuite, ligne droite comme bifurcations. Le livre est à nouveau disponible, il n’est donc pas mort dans un coin.

Il y a aussi, ici, en ce jour, lutte contre l’inertie, contre une tétanie infernale sans rapport avec l’écriture ni la sortie de Saint-Germain. Je la dépose à la fin cet article, juxtapose une jolie photo sans rapport, appuie cette fois sur "enregistrer".

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