Fenêtres Open Space

site d’Anne Savelli

Musée Marilyn, note de Sabine Huynh

lundi 20 Février 2023, par Anne Savelli

Immense merci à l’écrivaine, poétesse et traductrice Sabine Huynh, dont je ne peux que vous recommander le très beau Elvis à la radio, qui vous prend et ne vous lâche plus, pour la note sur Musée Marilyn, publiée sur son site, Presque dire. Le voici en grande partie :

Le texte, circonspect, très fouillé, fruit de sept ans de recherches, se sert de photographies de Marilyn (sans les montrer, quel tour de force, car on les voit comme si elles étaient sous nos yeux, et puis ne pas montrer c’est aussi ne pas céder au voyeurisme délétère) et d’une visite d’exposition comme prétexte pour non seulement nous faire réfléchir sur la femme et sa vie, qui lui a échappé et a été transformée en destin tragique malgré elle, mais aussi et surtout sur nous toutes, nous tous, sur la condition des femmes et de tous les êtres dotés d’un corps, dont ils ne savent finalement pas trop quoi faire en général et avec lequel il leur faut constamment composer, puisqu’il est soi-disant le socle de notre identité, le garant de notre force, de notre santé mentale, de notre liberté ; la passerelle vers l’amour, le bonheur, la richesse… Mais entre ce que renvoie notre miroir, ce que nous y voyons, ce que nous rêvons d’y voir, ce qu’y voient les autres et ce qui s’y trouve, au fond, grince et bégaie toute une armée de fantasmes trahis, tyranniques et vides régis par l’apparence ou les apparences, qu’Anne Savelli déploie avec minutie et brio, pour révéler l’abîme horrifiant qui se cache derrière le mot « beauté »… Ce livre a particulièrement résonné en moi (nos choix de lecture ne sont-ils pas, d’une façon générale, étroitement liés à ce qui nous a constitués ?) parce que dans ma glorieuse jeunesse j’ai été mannequin et modèle pour peintres et photographes (comment payer études, loyer et factures autrement ? J’étais aussi pompiste, vendeuse, serveuse, enseignante, oui, en même temps…), et que toute ma vie j’ai essayé d’échapper au dictat des apparences et du perfectionnisme (je crois que j’y suis arrivée, mais ça passe aussi par réussir à s’aimer, ce qui a pris un temps fou)… « J’avais faim », fait dire Anne Savelli à Marilyn, « il fallait payer le loyer ou récupérer la voiture » (p. 155).

Ce parti-pris de Musée Marilyn de ne pas montrer les photographies, les images iconiques, « la Marilyn qu’absolument tout le monde connaît » (p. 305), et d’en inventer d’autres, peut-être (« cette photo qu’on ne voit pas. Je vous en parle, moi, je vous l’invente, même », p. 192), lui confère une place tout à fait à part dans les livres concernant l’actrice, tout en correspondant, je pense, à un réel respect de sa personne et au désir de la soustraire le temps de sa lecture aux regards cupides qui l’ont transformée en pâture et ont fait oublier que derrière cette représentation glamour entachée de scandales que l’imaginaire populaire s’était fait de la star, essayait de respirer et de vivre une femme aussi forte qu’elle était vulnérable, une femme terriblement seule, assoiffée de liens et de savoir (« soif d’apprendre, liée à un manque de confiance en soi qui lui interdit toute indulgence envers elle-même, toute autre option que la perfection », p. 31) et, somme toute, une grande énigme, tels que nous le sommes tous, mais d’elle on a attendu, exigé, qu’elle répondît absolument de tout, pour lui faire payer sa splendeur inextinguible malgré la violence qu’on mettait à la détruire. Lumière et légende inextinguibles, oui, et Musée Marilyn le prouve, qui nous susurre dans le creux de l’oreille que la bonté, la sincérité, la générosité originelles de Norman Jeane, qui autant que possible « écout[ait] son instinct » (p. 155), ne se sont peut-être jamais démenties malgré les souffrances engendrées par l’injonction d’appartenir, de « faire partie du jeu, de l’équipe » (p. 420), pour réussir.

J’ai lu le livre d’Anne Savelli en même temps que je relisais le poème vietnamien classique Kim-Vân-Kiêu, du poète Nguyên Du (1765-1820), pour un texte auquel je travaille : Kim-Vân-Kiêu est un long poème d’amour de 3254 vers, composé sur la vie et les malheurs de Thuy-Kiêu, trop belle, trop brillante, trop parfaite et sévèrement punie par le destin pour ses talents trop remarqués. « Beaucoup admirée et beaucoup blâmée » (Nguyên Du). Relation de contiguïté ? Toujours est-il que j’ai vu en Musée Marilyn d’Anne Savelli un texte lyrique, un long poème d’amour sur une étoile à la lumière assassinée, qui interroge les lecteurs sur le lien entre la beauté et l’avidité, la rancœur et la souffrance, qu’elle a suscitées bien malgré elle. Et comme un poème, il se révèle mesuré, structuré et rythmé, tout en laissant deviner une intimité remplie d’affres et d’angoisses sans nom. « Mais elle, cœur sincère et qui a confiance dans les hommes » (Nguyên Du), « elle porte avec elle l’Amour » (Nguyên Du) ; « pas juste une poupée » (Anne Savelli, p. 183).

Bref, Musée Marilyn d’Anne Savelli étonne, estomaque, émeut ; il vous fera frémir, sourire, pleurer, réfléchir ; et sa prose hypnotique et hyper maîtrisée, qui fait que ce texte, cette « chambre d’échos » (p. 181), se lit comme un roman, une biographie fictive richement documentée, une enquête, un roman policier, un conte des frères Grimm…, suscitera certainement votre admiration sans bornes. Mais comment a fait l’autrice pour s’emparer d’un tel sujet – « sur ce sujet […] qu’avons-nous à exprimer, sinon ce qui fait, depuis la nuit des temps, discours ? » (p. 299), et d’une façon tellement personnelle ? Quel travail de création extraordinaire ! « C’est quoi ? C’est une œuvre ? L’œuvre d’un fou ? » (p. 420). Le grand œuvre d’Anne Savelli, certainement. Merci aux éditions Inculte pour cette publication édifiante.

Galerie

Cliquez sur une photo pour avoir le diaporama

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.