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site d’Anne Savelli

Présence(s) d’Agnès

samedi 30 Mars 2019, par Anne Savelli

C’était en 2017. Je savais qu’elle aimait les chats, la peinture et les cartes postales. Les éditions de l’Attente, de Bordeaux, lui avaient envoyé Décor Daguerre depuis quelques semaines et je voulais lui écrire parce que je n’avais rien pu mettre dans l’exemplaire du livre, pas de mot personnel. Coup de chance : dans le quartier du bureau de L’aiR Nu, une librairie vendait des cartes, dont celle-ci, la seule qui pouvait convenir. Je l’ai achetée, rédigée plus vite que prévu (je pensais en avoir pour des heures), l’ai photographiée pour me rappeler ce jour, l’ai mise sous enveloppe, l’ai postée.
J’ai bien fait de la lui envoyer : en la trouvant, elle s’est souvenu du livre. Elle venait de terminer les boni de Visages villages, c’était un dimanche, elle avait le temps, a lu mon livre, sans s’arrêter m’a-t-elle dit ensuite, ce que je ne risque pas d’oublier. Le lundi, elle a cherché à me contacter. À l’époque, je tenais encore mon blog et venais d’indiquer les dates de ma tournée pour la CCAS - quand on écrit, on fait parfois de drôles de trucs pour gagner sa vie.

Elle a déniché le numéro de l’accueil du premier centre de vacances où je me trouvais, à Six Fours, sur la Côte d’Azur, a téléphoné, précisant que "Agnès" demandait Anne Savelli et que c’était urgent ! J’étais censée, à cette heure précise, promener les estivants au bord de la mer en leur faisant lire des poèmes, des extraits de romans. Heureusement, j’avais fait un flop, personne n’était venu. Seuls deux curieux étaient passés, mais avec la flemme de marcher... Quand "Agnès" m’a fait appeler, j’étais là, au bar du camping, en train de leur dire ce qu’ils auraient lu, ce que j’aurais fait si la balade avait eu lieu. Par exemple :

Le Sel de la vie, lu par Anne Savelli

Bien sûr, je ne m’y attendais pas. Sur le chemin qui menait du bar au camping, je me demandais quelle Agnès pouvait m’appeler. J’ai une cousine qui s’appelle Agnès, mais on ne se connaît presque pas. Soudain sa voix dans le combiné, la voix d’Agnès V. Impossible de se tromper. Elle était très contente de son coup, riait, et moi, derrière le comptoir de l’accueil, trop surprise pour avoir le trac, je riais aussi. On a discuté une demi-heure. Tant pis pour ceux qui auraient réservé un emplacement, voulu monter leur tente à ce moment précis (il n’y en a pas eu, miracle) : je squattais les lieux. Elle m’a dit ce que j’aurais rêvé d’entendre, moi qui ai eu tant de mal à faire publier ce livre, qui en ai encore aujourd’hui avec Volte-face, mon Marilyn "trop littéraire". Elle me parlait d’égale à égale. Au bout de la demi-heure, elle m’a demandé mon numéro, dit qu’il faudrait se voir en septembre. Je n’ai pas osé demander le sien.

Cour Daguerre de ci de la

Au moment de se voir, peut-être, elle est partie à Hollywood recevoir un Oscar d’honneur. J’ai envoyé un mail, on m’a dit qu’on ne m’oubliait pas. Je ne suis pas du genre à relancer, c’est ainsi. De temps en temps j’émettais un signe, évoquant vite la résidence, les élèves d’Évry en promenade dans la rue Daguerre. De toute façon je me disais : l’essentiel, c’est cet appel. C’est ce qu’elle m’a dit de mon travail, à quel point elle l’a bien compris.

(les élèves d’Évry et le lion de Belfort, place Denfert-Rochereau, à l’automne 2018)

Pour ce livre, j’ai scruté Daguerréotypes, son documentaire, image par image. Cette attention minutieuse l’a touchée, m’a-t-elle dit, ce qui m’a émue - elle, si célébrée, vraiment contente qu’on se penche sur son travail. Elle aimait aussi cette idée d’entraîner le lecteur ailleurs que dans sa rue Daguerre, sur mon terrain de jeu, celui de 2013 comme celui de l’enfance. Qu’elle comprenne ces choix artistiques m’a confortée (même si, de toute façon, je suis têtue et je le reste). Je l’ai trouvée généreuse, précise, pas du tout centrée sur elle-même. On a encore ri de son côté détective avant de se dire au revoir.

Elle n’a pas su le bien que m’a fait, un jour d’été à Dinard, en 2013, la présence d’une de ses installations, déroulant la mer à nos pieds. Ni que je me suis ouvert le genou en essayant d’aller la voir l’an dernier quand elle exposait ses cabanes de pellicules, raison pour laquelle je n’ai pas été la saluer (aussi parce que je n’ai pas osé, soyons honnête). Ni les lectures avec Mathilde, ni le passage à la Pointe courte avec Juliette, Stéphane et Virginie.

(de dos, Juliette Mezenc, mai 2018)

J’allais lui envoyer un mail quand j’ai appris la nouvelle. J’allais l’inviter à la lecture de Décor Daguerre le 10 avril prochain, venais de recevoir le flyer que je voulais joindre au message. Depuis, je me demande que faire, vais voir avec le libraire de la Petite lumière et l’enseignante d’Évry, Cécile. Je pense qu’on va imaginer une sorte d’hommage. Je vous tiens au courant.

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