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Le mystère des strates

dimanche 30 Octobre 2022, par Anne Savelli

(photo piquée à la librairie Les Nouveautés, Paris Xe. Où l’on voit que, contrairement à ce que je raconte ci-dessous, mes livres vivent leur vie sans que j’intervienne) (parfois)

Après une semaine au bord du lac de Grand-Lieu, le retour à Paris s’est fait avec le désir d’en avoir fini avec ce que j’appelle "le petit Perec", Lier les lieux, élargir l’espace, un livre court qui cherche à déterminer l’influence de l’œuvre de Georges Perec sur mon travail. J’avais terminé avant de partir, en avais relu les deux tiers en pensant que ça "tenait", m’inquiétait seulement un peu de la fin, toute fraîche. En fait, cette semaine, j’ai écris un nouveau début et retravaillé longuement la partie principale, qui porte sur Un homme qui dort.

Il m’arrive parfois, quand je fais des choix d’écriture, de me compliquer considérablement la vie, et cela depuis toujours. Cela tient au fait que je cherche à empiler les strates interprétatives de façon verticale au lieu de dérouler une narration linéaire. J’ai toujours fait ça : écrire pour que mes phrases ne soient jamais parfaitement univoques ; pour qu’on puisse les relire en trouvant, chaque fois, quelque chose de différent. Évidemment, on peut appeler ça poésie, mais je ne m’y résous pas, en tout cas jamais totalement, car j’aime aussi "raconter des histoires", malgré ce qu’il m’arrive de dire. J’ai besoin de la prose, mais d’une prose contenant sa part de non-dit, une prose alentie, qui ferait par moments du sur-place, forçant le lecteur à revenir en arrière et à se demander : "Ce que je viens de lire, c’est bien ce qui est écrit ?" sans obtenir la même réponse.

(Je parle ici de l’idéal, bien sûr.)

Quand je tente de m’expliquer à ce sujet, comme dans Lier les lieux, est-ce que je réussis à éclaircir mes choix ? Pas sûr. Ainsi, dans le chapitre consacré à Un homme qui dort, il est si difficile de transmettre ce que j’ai voulu faire que j’ai fini par compter le nombre de strates que je pense avoir empilées en transformant le récit de Perec en personnage secondaire d’un de mes livres. Et il y en a six. Oui, six strates différentes, six rôles à endosser, si l’on veut, pour cet homme qui dort et sinue à l’intérieur de mon texte.
Impossible d’opérer autrement : je suis comme ça, je pense comme ça, depuis le début, je ne peux pas changer. D’où la nécessité que j’ai eue, pour Musée Marilyn, de cadrer la prolifération qui n’allait pas manquer en effectuant une visite strictement chronologique - sinon, ce n’était même pas la peine. C’est également pour ça que Bruits se déroule, inexorablement, minute par minute. Car je ne veux pas "désempiler". Je veux continuer à construire ma tour, brique par brique, en hauteur. Simplement, je veux qu’elle reste accessible, j’ai envie de me faire comprendre.
Je raconterai sans doute quelque chose de cet ordre à la Maison de la poésie le 16 novembre, lors de la soirée consacrée à Musée Marilyn. Marilyn Monroe apparaît depuis longtemps dans mes livres et ce sera l’occasion de le montrer, j’espère.

Préparer cette soirée (tout comme, celle d’avant, le 10, à Poligny) est depuis hier la seule chose qui réussisse à faire descendre mon niveau d’anxiété, de plus en plus fort à mesure que les jours passent et que j’attends la réponse du CNL — sans parler des prix littéraires. Cela devient pénible, maintenant que la parenthèse au lac est passée.

Il faudrait que je réussisse à devenir plus autonome, financièrement, je le sais, et surtout que ce soit plus régulier, que la recherche d’argent ne soit pas une constante. J’y réfléchis, invitée à penser à une solution de type Patreon par quelqu’un qui se reconnaîtra s’il vient lire cet article... Là encore, c’est compliqué, parce que je ne peux pas travailler davantage. Or, il faut fournir du contenu aux abonnés — en plus du contenu public — et ils doivent être nombreux pour que cela fonctionne. Ça me paraît un vrai casse-tête.

J’ai passé ma vie d’adulte à chercher une solution. J’ai exercé des tas de métiers, créé un collectif, effectué de très nombreuses résidences, animé je ne sais combien d’ateliers. Comment faire en sorte que tout cela travaille pour moi, travaille à ma place pour je puisse écrire - car écrire est la seule chose que je veux et, là encore, je suis incapable d’en démordre ?

Suite au prochain épisode, une fois de plus !

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