Fenêtres Open Space

site d’Anne Savelli

Que se passe-t-il quand on prend une photo ?

jeudi 21 Juin 2018, par Anne Savelli


Artistique ou documentaire, que lire quand on s’intéresse à la photo et qu’on cherche des pistes de réflexion ? Qu’est-ce qui se joue dans une photo de voyage, un Polaroid, un cliché de presse, une photo d’art ?

Voici des livres qui vous permettront de connaître l’histoire de la photo, de réfléchir sur sa nature, ses usages et sur le rôle du photographe. Des essais de référence, des ouvrages critiques et des textes littéraires à garder dans sa bibliothèque.

Sur la photographie de Walter Benjamin

Philosophe, traducteur, critique d’art et critique littéraire, Benjamin a écrit pendant quinze ans, jusqu’à sa mort en 1940, différents textes sur la photographie réunis dans ce recueil. On y retrouve les deux plus célèbres, « Petite histoire de la photographie », où est défini pour la première fois le concept d’aura de l’objet d’art et « L’Oeuvre d’art à l’heure de sa reproductivité technique  ». Qu’a modifié l’apparition de la photo à ce qui fait la spécificité de l’art ? demande Benjamin. Devenu accessible au plus grand nombre grâce à la reproduction et la miniaturisation, l’art a, selon lui, perdu cette aura si difficile à définir, née de l’expérience sensible de celui qui regarde et de l’unicité de l’œuvre. Mais est-ce vraiment une perte ? L’art n’en acquiert-il pas une liberté nouvelle, débarrassée du sacré ? À moins qu’il ne se réduise à une simple marchandise ? Des questions complexes qui infusent toujours aujourd’hui.

Photographie et société de Gisèle Freund

Paru en 1974, cet essai a pour source la thèse sur la photographie en France au XIXe siècle que la célèbre photographe avait éditée en 1936 et qui a été republiée en 2011. L’histoire de la photo qu’elle retrace s’axe en premier lieu sur l’importance du portrait dans une société où la bourgeoisie devient dominante. Gisèle Freund, également sociologue, s’intéresse aux multiples évolutions (techniques, artistiques, industrielles, culturelles, politiques...) qui accompagnent l’apparition de la photo. Elle s’interroge sur le statut du photographe (artiste ou commerçant ?) et la reproduction de l’œuvre d’art, évoque le photojournalisme et le développement de la presse magazine américaine qu’elle a bien connue. Après s’être réfugiée en France en 1933 pour échapper à l’hitlérisme (naturalisée française, elle est juive allemande d’origine), elle a en effet travaillé pour Life et fait partie de l’agence Magnum, avant d’en être exclue dans les années 50 car soupçonnée de communisme. Grande portraitiste, c’est aussi une conteuse de talent. Photographie et société est un livre sur lequel elle n’a cessé de revenir toute sa vie.

Sur la photographie de Susan Sontag

Autre livre à avoir dans sa bibliothèque, cet ouvrage paru à l’origine en 1977, qui regroupe six essais écrits pendant cinq ans durant la décennie 1970. Romancière et essayiste américaine très engagée, Susan Sontag pense la photographie dans sa modernité, dans sa relation à un monde dont elle reflète l’inépuisable, certes, mais dont elle pointe la beauté ou l’horreur en cherchant parfois à le réduire à une seule de ces dimensions. Ainsi Sontag critique-t-elle par exemple l’exposition américaine « The Human family » qui, en 1955, regroupait plus de 500 clichés de 273 photographes issus de 78 pays pour unifier le peuple humain en montrant uniquement sa beauté et ses traits de convergence. L’essayiste interroge aussi la photo de tourisme, l’influence de la peinture, le rôle du photographe, le sens de la photo en fonction de son contexte... L’ensemble est passionnant.

La Chambre claire de Roland Barthes

Il est presque impossible de lire un texte contemporain sur la photo sans trouver mention du livre de Barthes. La Chambre claire, paru en 1980, est devenu essai de référence, sans cesse commenté, critiqué... De quoi s’agit-il ? Barthes cherche à définir l’essence de ce que, faute de mieux, on nomme « La Photographie », alors que c’est un art sans unité, affirme-t-il. La photographie existe-t-elle ? Est-ce un art, au demeurant ? Cette dernière question l’intéresse moins que celle du regard sensible posé sur l’image, qui permettrait de mieux cerner sa particularité. La photo déclenche un trouble chez celui qui regarde (spectator) comme chez celui qui pose (spectrum). Au centre de son texte, invisible, une photo de sa mère enfant, dont il porte alors le deuil et qu’il cherche sans y parvenir à reconnaître dans des clichés récents. La photographie peut-elle ressusciter un mort ? Est-ce sa véritable fonction ? Un essai qui privilégie la place du spectator et ce qui le bouscule, le meurtrit, évacuant celle du photographe (l’operator), ce qui en fait une des limites, mais a permis d’ouvrir de nombreuses pistes de réflexion.

Le Mystère de la chambre claire ; Photographie et inconscient de Serge Tisseron

Le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron, également photographe et dessinateur de BD, a écrit de nombreux ouvrages sur la photo. Il s’intéresse également de près aux écrans, aux jeux vidéo et à Internet. Dans ce livre, paru en 1996 – qui concerne donc seulement l’argentique –, il fait plus d’une fois référence à l’essai de Barthes, auquel il se mesure pour chercher à en dépasser la mélancolie. Non, la photo n’est pas un fétiche, dit-il. Elle ne se réduit pas à la fixation d’un point passé, n’est pas qu’un lien avec la mort. C’est un objet à la fois réel et fictif. Il se penche ainsi sur ce que La Chambre claire avait évacué : le rôle du photographe, sa pratique, dédramatisant en quelque sorte l’image qui en est issue. Pour lui, l’objet photographique, c’est moins le cliché lui-même que le geste du photographe, qui prolonge sa psyché. Il est alors moins question de pose, d’immobilité, que de mouvement. Un essai stimulant, ouvert.

La Photographie est interminable de Denis Roche

Poète, écrivain, éditeur et photographe, Denis Roche a disparu en 2015. En 1978, paraît son premier livre sur la photo, Notre antéfixe, enrichi d’autoportraits de son couple pris au déclencheur à retardement, façon pour lui de jouer avec le temps et l’idée de mort au travail. Y apparaît le désir de rester mobile, de ne pas se laisser figer par un appareil qui permet cependant d’affirmer : j’ai été là, j’ai existé. Roche publie ensuite plusieurs livres sur le sujet, dont La Disparition des lucioles, recueil de textes divers où les notions de mort et d’autobiographie réapparaissent, où le lien avec la littérature est questionné. La Photographie est interminable, fruit d’un entretien avec l’historien et critique Gilles Mora, revient de façon chronologique sur sa pratique artistique, permettant au lecteur qui ne le connaîtrait pas d’appréhender de façon globale son approche ritualisée de la photo.

Mémoires d’une galerie de Agathe Gaillard

Et si l’histoire de la photographie nous était racontée par une galeriste parisienne, une pionnière ? Agathe Gaillard a été la première à avoir, en 1975, ouvert un espace uniquement dédié à la photographie. Elle a cru à la portée artistique de la photo à une époque où celle-ci était encore considérée comme un sous-genre, et s’est employée à la faire connaître pendant presque quarante ans dans sa galerie du Marais, mêlant artistes reconnus et débutants prometteurs. André Kertesz, Edouard Boubat, Hervé Guibert... Son livre parle avec chaleur et vivacité de ceux qu’elle a côtoyés durant ces années et fourmille de détails sur la façon dont s’organise une exposition, dont fonctionne le marché de l’art. Un regard parfois moqueur, toujours précis sur un milieu qu’elle connaît comme sa poche.

L’ Image fantôme de Hervé Guibert

En 1981, Hervé Guibert, écrivain, photographe et critique, publie cet autoportrait où photo et littérature se joignent, recueil de textes courts dont le thème pourrait être celui de l’image et de l’absence. Il y évoque ces photos non faites, ratées, censurées, oubliées, déchirées, perdues qui ponctuent nos vies, et autres clichés révélateurs d’un temps et d’un réel qui nous échappent, nous fuient. Guibert décrit également ce qui pourrait être des « fantasmes de photographies », séances qui n’ont pas eu lieu. Photomatons, radiographies, planches-contact, diapositives, Polaroid, photos de voyages, de presse, d’art, travail sur la retouche, choix de l’appareil... Tout est matériau. Tout sert en creux à fixer les étapes d’une vie et à dresser, au fond, un portrait de la photographie elle-même.

L’Exposition de Nathalie Léger

Connaissez-vous la comtesse de Castiglione ? Entre 1856 et 1895, celle qui fut un temps considérée comme « la plus belle femme de son siècle », maîtresse de Napoléon III, posa secrètement pour un même photographe qui fit d’elle 450 portraits. La comtesse organisait tout, se déguisait, apportait tenues, accessoires, scénarios... Même déchue et devenue âgée, elle continua à se mettre en scène. Une créativité, un narcissisme exacerbés que Nathalie Léger, par ailleurs commissaire d’exposition, questionne dans ce qui paraît à la fois un essai et un roman, un texte autobiographique et poétique. Évoquer La Castiglione lui permet une réflexion fine sur ce que sont le désir d’exposer, d’être exposé, la quête de la beauté et la fascination qu’elle engendre. Le livre, qui convoque de nombreuses images issues de l’histoire de l’art, de la photo et du cinéma, procède par circonvolutions pour approcher ce qu’il y a de plus intime – et dérangeant – dans ce désir.

Pourquoi la photographie nous importe de Jerry L. Thompson

Pour finir avec un livre récent, pourquoi ne pas citer ce petit essai du photographe américain Jerry L. Thompson, qui souhaite proposer des clés de compréhension à un public d’aujourd’hui parfois un peu dérouté, croit-il. Pour Thompson, si la photographie est un art, elle est également un outil toujours pertinent de connaissance du monde. Il cherche à comprendre comment elle peut nous amener à porter un regard critique sur la crise de nos économies capitalistes et, par là-même, conserver sa vitalité. Progrès techniques, rôle de médiateur du photographe, réception critique des images sont évoqués dans un texte qui se situe dans la lignée documentaire de Walker Evans, dont Thompson fut l’élève. Pour lui, une photo dit toujours plus que ce que montre le photographe, fût-il génial.

Galerie

Cliquez sur une photo pour avoir le diaporama

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.