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Humeurs

dimanche 11 Octobre 2020, par Anne Savelli

Ce semainier peut-il être le lieu de la plainte, de l’immense raz le bol ? Par moments, pourquoi non ? Il y a une tendance, dans nos métiers, à étouffer ce qui ne va pas pour ne pas décourager les autres, les faire fuir, tendance qui, au bout d’un moment, n’avance pas à grand chose non plus.

C’est un début de semaine qui commence par tenter de s’organiser, mais ce qui fonctionne le lundi ne marche déjà plus le mardi. Tout le monde est suspendu aux annonces d’un gouvernement girouette qui dit qu’il dira peut-être quelque chose demain, ou dans deux ou trois jours, et suite au prochain épisode en publication bimensuelle.

(Finalement, les cafés restent ouverts
Disparition de la piscine
Et poursuite du masque en ville
Ne vous touchez pas
Ne vous embrassez pas
J’écoute une émission dédiée au sans contact)

En attendant, on n’attrape pas le covid dans les transports, surtout pas sur la ligne 13 ni dans les wagons de RER et par ailleurs, tout cela n’a rien à voir avec la façon dont les hôpitaux sont gérés (depuis six mois, mes soignants, qui ne se connaissent pas entre eux, ragent à propos du manque de moyens accordés à l’hôpital public. Tous. Et ce n’est pas moi, venue pour mes petits bobos, qui les lance sur le sujet).

Ce qui me met les nerfs en pelote, c’est aussi la moralisation permanente de chacun par tous sur les réseaux sociaux, où chaque acte est passé au crible.

Je lis un article sur les dégâts du déconfinement en psychiatrie.
Et l’écriture ?

Je note :
Quand mes journées se passent à régler des problèmes par mail, je suis en colère, j’ai l’impression de n’avoir rien fait. J’ai envie de fuir dans la forêt. Quand je sors, à cause de l’hyperacousie, les bruits de la rue se détachent, intenses, mais c’est pire dans ma cuisine.
Je note :

Si je pouvais, je passerais mon temps à faire des arrêts sur image pour décrire du mieux possible le son correspondant. En réalité, je pense à mon livre sans cesse, même sans l’écrire, sauf quand je travaille pour L’aiR Nu. 

Je pense à un de mes personnages. J’aimerais qu’il me hante. J’aimerais que tout Bruits me hante, mais je suis en train d’écrire autre chose (un nouveau texte pour L’aiR Nu) : rien d’étonnant, donc, si pour le moment ça ne se produit pas.
Je note encore :

Comment écrire, de toute façon, dans cette désorganisation permanente ? Dans Journal du voleur, Genet, modèle d’ascétisme : « La solitude ne m’est pas donnée, je la gagne. Je suis conduit vers elle par un souci de beauté. J’y veux me définir, délimiter mes contours, sortir de la confusion, m’ordonner. »

En fin de semaine, je finis d’une traite le livre d’Olivier Bétourné, La Vie comme un livre. Je note : "Quel moteur anime les gens de pouvoir ? Bétourné, pour imposer les textes auxquels il croit, avale des couleuvres, rend les coups, joue les hypocrites (il l’avoue à un moment). Comment est-ce possible sans tomber malade ?" C’est une vraie question pour moi. J’en reparlerai dans ma culture en cours d’octobre, pour l’instant en brouillon.

En fin de semaine encore, las du silence de la Préfecture, le Marché de la poésie annonce qu’il ne se tiendra pas, comme il était prévu, à la fin de ce mois. Le même jour, je découvre que des amis, qui avaient monté un festival de poésie pour l’an prochain, n’ont pas eu la subvention attendue. Ça et les rumeurs de reconfinement... Morne plaine.

Et à nouveau : "Ne vous touchez pas entre vous !"

Mais on ne va pas s’en tenir à la mauvaise humeur, n’est-ce pas ? C’est pourquoi, pour finir, je n’oublierais pas d’évoquer ici Le Gourmet solitaire, un manga japonais de Masayuki Kusumi et Jirô Taniguchi tout à fait réconfortant. On y suit un commerçant indépendant qui, à l’heure de manger, cherche le meilleur petit resto de quartier possible. C’est tout et c’est largement suffisant.

Enfin, et en vrac, événement majeur de mon année : j’ai pris le bus ! Premier transport en commun depuis mars, un bus quasi vide en heures creuses — sinon j’aurais continué à marcher. Regarder défiler les rues en écoutant au casque un podcast sur un faussaire, se laisser entraîner dans la ville et dans la vie d’un autre sans effort : ainsi va aussi l’aventure moderne, comme un fil renoué.

(rêver de fuir dans la forêt, de retourner à la mer, d’écrire Bruits, de longer les ruelles de Tokyo dessinées dans le manga)

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