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La vie même

dimanche 26 Décembre 2021, par Anne Savelli

Samedi 25 décembre : je pensais ne pas écrire de semainier cette fois-ci, réveillon oblige, mais finalement j’ai tout mon temps, puisque je suis, comme beaucoup, cas contact, en quarantaine depuis hier et pendant je ne sais combien de temps. La pharmacie, débitant hier des tests au kilomètre, s’est par ailleurs trompée dans l’envoi de mes résultats. Ma date de naissance, sur l’interface, est inconnue, le numéro de téléphone est celui d’une autre femme testée qui, de son côté, doit attendre un mail qui n’arrive jamais : on dirait un début de roman. Inutile d’y penser davantage, la pharmacie est fermée. Durant 48 heures on ne saura pas si je suis vraiment négative ni quel variant s’en est pris à mon proche et donc, combien de temps je vais à m’adonner à l’activité principale de ces derniers jours : ranger des carnets et des livres.

(À propos de livres, j’ai terminé hier Rendez-vous secret, de Kôbô Abé, délirant roman dont le personnage principal, plus que le narrateur dont la femme, enlevée par des ambulanciers, a disparu, est un hôpital labyrinthe. J’aimerais y revenir à un autre moment, ce livre me paraît important)

J’écris cela en faisant semblant d’être un peu détachée mais ce n’est pas au Covid sous mon toit que je pense ce matin et je ne range ni livres, ni carnets. Je pense à Delphine Bretesché qui nous a quittés, comme on dit, jeudi après-midi. Je savais depuis septembre qu’elle était très malade, je pensais à elle chaque jour, espérant quand même, n’osant pas lui envoyer de petits messages, et puis si, et heureusement, recevant d’elle des réponses rythmées par les emojis.

(Delphine, photo de sa page remue.net)

Je ne fais pas partie du premier cercle de Delphine mais du deuxième, à coup sûr, ce que nous sommes nombreux à pouvoir en dire tant elle est, était et restera aimée. Delphine, sa disparition nous sidère parce qu’elle est, précisément, celle qui ne pouvait pas mourir ("la vie même" : nous sommes plusieurs à avoir spontanément, depuis deux jours, cette expression en tête).

En écrivant ces mots j’entends sa voix, je revois ses mains qui, tous ou presque, ont massé nos épaules au moins une fois. Quand elle percevait en nous des tensions (combien sommes-nous à avoir ce type de souvenir ? Plein, sûrement), elle proposait ses services, peu importait le lieu. Je ne sais si je raconterai un jour comment elle m’a aidée à sortir d’un chagrin il y a quelques années à Nantes en m’écoutant et me massant la main, mine de rien, alors que j’attendais mon train. Je voudrais seulement dire ici combien notre amitié fut voyageuse et joyeuse, de notre première rencontre à Marseille à sa dernière lecture à Paris en passant par Nantes, Nanterre et le lac de Grand Lieu (nous étions souvent invitées par les mêmes personnes, en résidence ou lors de tables rondes, j’embrasse fort Pascal et Arnaud, au passage).
Voici cette dernière lecture, en mars dernier, à Paris, avec Xavier Mussat :

Samedi après-midi. Les témoignages sur Facebook affluent et, comme pour Philippe Aigrain l’été dernier, les paroles se rejoignent, se ressemblent. Où il est dit qu’avec Delphine, on devenait ami.es tout de suite, et pour tout le temps. Où il est dit et redit ses nombreux talents, sa joie, sa générosité, son rayonnement.

(la ligne de bulbes de narcisses, photo de Ouest France)

En 2022-2023, j’étais censée (je le suis toujours) assurer pour L’aiR Nu la direction artistique d’un projet de l’association L’Esprit du lieu destiné à mettre en valeur les résidences du lac de Grand Lieu, qui existent depuis plus de vingt ans. "J’étais censée" car nous n’avons pas reçu les subventions que nous espérions. Mais je le "suis" toujours car nous trouverons comment faire, d’une manière où d’une autre. Parmi les œuvres réalisées autour du lac, il y a cette ligne de 2 000 bulbes de narcisses qui relient une rivière, la Logne, au cimetière voisin, dont Delphine avait eu l’idée, prolongeant le livre qu’elle écrivait et pour laquelle elle avait réussi à mobiliser 90 personnes. Sortir Perséphone des enfers, réunir les vivants pour annoncer le printemps : voilà qui lui ressemble, non ?

En attendant de trouver comment (re)mettre en lumière ses réalisations et celles des autres auteurs, artistes venus à Grand Lieu, je parsème ce semainier des petites horloges découvertes au Louvre ce jeudi. Elles ne disent plus l’heure depuis longtemps. Elles indiquent pourtant le premier des temps sans Delphine — sans elle mais avec elle, aucun doute n’est possible.

Dimanche matin : au réveil, je pense immédiatement à Delphine, à ce qu’elle a réalisé, à cette diversité d’œuvres (textes, dessins, performances, lectures...) mais aussi aux difficultés rencontrées, au soutien qui n’y était pas toujours, qu’il fallait sans cesse conquérir. Me rappelant ces échanges que nous avons eus plus d’une fois, j’écris dans mon carnet rouge et les lignes filent plus vite qu’ici (le semainier et le journal intime, ce n’est pas la même chose).

J’ai quatre livres d’elle : Perséphone au jardin de Sainte-Radegonde, Premier de cordée, Marseille festin et le Journal dessiné. Ranger, brasser l’oloé durant la quarantaine, ce sera à coup sûr les relire.

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