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Place nette

dimanche 24 Avril 2022, par Anne Savelli

Essayer de se replacer dans une sorte d’attente "à l’ancienne", sans regarder ni messageries ni réseaux sociaux toutes les cinq minutes, voilà ce que j’ai, ne pouvant plus travailler, tenté de faire. Trouver des plages de temps durant lesquelles aucune consultation de cette sorte n’est possible : pendant la nage, en lisant, en regardant un film.

Pas n’importe quel film, cependant : la fatigue psychique ne supporte ni distraction molle, ni rythme hystérique. Obsédée par la peur du débordement émotionnel, il lui faut cadre et rigueur (je comprends mieux pourquoi j’aimais Genet quand j’étais très jeune : pour sa langue et ses images, bien sûr, mais aussi pour la rigueur de son anti-conformisme) (il faudrait un jour que je relise tout ce que j’ai lu à la vingtaine : Genet, Proust, Janet Frame, Violette Leduc).

Le mieux, dans ces cas-là, ce sont les films de Melville : les couleurs froides, les visages impassibles. Pas d’action, pas d’émotion. Ou alors, Un homme qui dort, l’adaptation du livre par Perec lui-même et Bernard Queysanne. Justement, le voici à disposition :

Un homme qui dort, le livre comme le film, est peut-être l’œuvre dont je me sens le plus proche depuis que je l’ai découverte, au début de la vingtaine. Cette fois, à la fin du film, un hiatus entre le texte entendu en voix off et le lieu du tournage me saute aux yeux : tandis que Ludmila Mikael lit la dernière phrase, qui mentionne la place Clichy, c’est en haut de la rue Vilin que nous nous trouvons. Nous sommes plus exactement sur la place qui, aujourd’hui, domine le jardin de Belleville (voir la photo ci-dessus). Une rue dans l’ombre qui avale, littéralement, le héros. La caméra filme également le début de la rue des Envierges, où j’ai de nombreux souvenirs d’étudiante. Je décide d’y retourner.

Auparavant, je regarde :

et encore :

Le lendemain, je m’y rends avec une amie. Je n’ai pas envie d’en dire davantage pour l’instant mais je le note ici. L’envahissement peut parfois être contourné, combattu sans combat : il est bon de s’en souvenir.

Cet envahissement-là, voyez. Ou plutôt non : ce n’est pas le sujet Marilyn qui prend toute la place, c’est le temps qui me sépare de mon futur objet — le livre que j’ai écrit, avec sa couverture, le nombre de ses pages, les remerciements à la fin. Ce sont les années à attendre le bon éditeur puis la date, puis l’objet. En fait, cette attente-là est un travail et elle mange l’énergie davantage que le travail lui-même. Je le savais déjà mais je vais m’en rendre compte de façon surprenante, les jours suivants.

Rester devant son écran à regarder sa messagerie : fatigue. Tenter d’écrire : fatigue. Tenter de lire des livres proches de ce qu’on veut écrire : fatigue. Impossibilité, même. Une heure après le réveil, je n’attends plus qu’une chose : la fin de la journée.

Nager, au contraire, sans téléphone dans le sac de piscine, redonne de l’énergie. Plus étonnant : le ménage aussi, sauf s’il s’agit de ranger des livres (ah ah). Le ménage, le nettoyage, le rangement, le repassage. Mieux encore : le fait de jeter des choses qui ne servent plus et, pour paraphraser Sei Shonagon, "ne font pas naître un doux souvenir du passé".

Les choses qui encombrent. Les choses abîmées ou moches, qu’on ne montrerait à personne. Les choses qui barrent le passage, s’entassent dans les coins. Celles qui s’annulent en se multipliant. Celles dont on ne tire ni fierté, ni douceur.

Pour certains, cela paraît une évidence. Pour moi, non. Je découvre, magie de la psyché, que le passage du corps écrasé sur le lit au corps triant et jetant se fait en quelques secondes. Je ne sais pas si ce "truc" durera toujours ; s’il y aura une gradation, dans un sens ou un autre. Je ne sais pas non plus ce qui me fascine le plus : le vide ou le plein.

Peu importe. Je remarque simplement que cela arrive au moment où toutes nos demandes de subventions pour L’Objet de ma vie ont été refusées. Faire autrement, une fois de plus.

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Messages

  • Grand merci pour ces liens, L’homme qui dort me cause aussi.
    Ta recherche de regarder ce qui convient à l’état d’épuisement est la mienne si souvent, ma solution (mais parce que j’aime ça, je ne prétends pas au remède universel) est de regarder du sport, athlétisme ou vélo (pas des sports co, trop excités). Et par exemple il m’est difficile de regarder des films de Louis de Funès, son perpétuel énervement me draine l’énergie.
    Figure toi que tu me fais envie, à ranger. Je guette chaque jour de congé passé chez moi sans être trop épuisée pour tenter d’avancer. Même ligne de tri que la tienne, avec deux restrictions : je suis incapable de jeter un livre et pas non plus une trace d’écriture manuscrite de quelqu’un qui n’est plus là (plus là dans ma vie ou plus là en ce monde).
    Courage courage pour la longue patience.

    • Bonjour Gilda,
      (l’interface ne me sonne pas quand j’ai un message, je ne peux les voir que très longtemps après, je préfère préciser :)
      Pour les livres, la meilleure solution, à mon avis, c’est la boîte à livres à côté de chez soi, quand il y en a une. Maintenant, c’est quand même très difficile de s’en séparer, je suis d’accord. L’idéal serait : un livre qui sort pour un livre qui entre, et en faire entrer qui doivent ressortir : ceux de la bibliothèque. Mais bon, c’est un idéal !

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