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se préparer

dimanche 10 Janvier 2021, par Anne Savelli


(en attendant le sud, un tour dans les beaux quartiers)

Le 20 janvier prochain, je pars à Marseille en résidence à la Marelle pendant deux semaines (première série de quatre), et serai donc soumise au couvre-feu à 18h, ce que je viens d’apprendre. Ce départ m’occupe l’esprit depuis déjà plusieurs jours (parce que je n’ai pas quitté Paris depuis longtemps, parce que je suis phobique des transports en commun, parce que comment dormir, etc). Cependant, cette semaine, je me suis un peu préparée : j’ai quitté mon appartement pendant trois jours pour aller écrire dans "l’oloé paquerette" : le local de L’aiR Nu. C’est un endroit où la vie est simplifiée au maximum — les habitants des studios comprendront ce que je veux dire. Le matin, j’écrivais Bruits, l’après-midi je faisais un tour (promenade, courses) et, systématiquement, me débrouillais pour être rentrée avant la nuit et la regarder tomber de la fenêtre. Je savais que je ne ressortirai plus et, d’une façon assez mystérieuse, cela me faisait plaisir. Le couvre-feu à 18h, sans le savoir, j’y étais déjà. Je mettais un casque pour ne pas entendre les voisins (entre deux chambres de bonne les murs sont fins comme des feuilles de papier) et poursuivais ma petite mécanique de résidence : ranger, "cuisiner", (cf le semainier précédent), manger, lire, écouter un podcast, réfléchir, etc. Réfléchir, surtout, sans parler à personne. Puis le matin, à nouveau : écriture de Bruits, avec ce que ça comporte de déstabilisant au bout de quelques jours.

À Marseille, j’ai envie de faire pareil : déplacer comme sur un jeu d’échecs les éléments de cette vie de trois jours : reproduire les mouvements, imaginer des variations. J’ai envie, pour une fois, de ne pas aller vers la ville mais qu’elle vienne à moi. On nous demande toujours — en tout cas souvent — de nous "inspirer" des lieux qui nous accueillent. La Marelle ne me demande rien et c’est la raison pour laquelle c’est la Rolls des résidences. C’est moi qui vais demander à Marseille d’apparaître, sans même que je le veuille, jusqu’à l’appartement où je serai confinée — décision d’autant plus pertinente, bien sûr que la situation sanitaire n’est pas en train de s’arranger, même si ce n’en est pas la raison. En somme, je vais faire le contraire de ce que Delphine Bretesché a effectué lors de sa propre résidence à la Marelle, en s’installant temporairement, durant cinq semaines, chez des inconnus :
« Traverser, être traversée : peut-être est-ce ma façon d’habiter en poète ? C’est-à-dire en mouvement. Tous les sens sont bouleversés. Chaque semaine vivre pleinement, en disponibilité à l’autre, aux lieux. Les sons de chaque rue chaque habitation sont très différents. Les draps ne sentent pas comme chez vous, certains parquets craquent, d’autres grincent, comment qualifier le son des tomettes descellées ? Où sont rangées les casseroles, de quelles couleurs sont les serviettes de toilette ? Allez-vous en pyjama dans la salle de bains le matin avec vos habits sous le bras ou vous habillez-vous pour vous déshabiller prendre votre douche et vous rhabiller ? Ne pas être à l’aise parfois et ce n’est pas grave. Découvrir qu’en deux jours le corps prend ses marques. Et découvrir l’angle aveugle de la résidence : quitter. »
(extrait de l’entretien qu’elle a donné au magazine Diacritik)
En faisant l’inverse, je m’y référerai, me retrouverai en dialogue secret avec son livre, Marseille festin !. Autres dialogues secrets espérés : Bruits / Ulysse (peut-être le seul livre que je vais emporter) (quoique ça m’angoisse de l’écrire, mais comment en porter d’autres sur mon dos ?), Bruits / L’espace d’un instant, le nouveau projet de Pierre Ménard, ouvert aujourd’hui même, lui-même minuté. Je viens de m’abonner au podcast : c’est déjà la promesse d’un rituel, un début de ré-assurance.
Car j’ai besoin d’accompagnement, celui de mes "amis d’écriture". J’ai repris Bruits, projet énorme et effrayant, qui me galvanise et me fait peur : il faut tenir. Il y a également Lisières limites à relire et peut-être à réinventer, Nos îles numériques à poursuivre (vous pouvez participer au 5e épisode, n’hésitez pas, nous mettrons les réponses en ligne le 15 de ce mois), Volte-face à faire vivre, de nouveaux projets à monter... Plus que jamais, nous sommes seul.es et avons besoin de monde. C’est pourquoi il est nécessaire de demander de l’aide (je le fais, ces jours-ci) et de se préparer (idem). C’est en prenant, en absorbant, en laissant venir que je pourrais à mon tour donner.

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