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Musée Marilyn dans Le Monde

lundi 26 Décembre 2022, par Anne Savelli

(lllustration de Tom Haugomat)

RÉVOLUTION PHOTOGRAPHIQUE

« Musée Marilyn », d’Anne Savelli : le feuilleton littéraire de Tiphaine Samoyault
écrivaine et essayiste

Notre feuilletoniste a visité les salles consacrées par l’écrivaine à la cinquantaine de séances photos de Marilyn Monroe, faites entre 1944-1945 et 1962.

Prendre pour sujet une star absolue est une façon de recueillir sur soi une part de son rayonnement, et la place que tient Marilyn Monroe dans l’art vient en grande partie de cette récupération, à une époque diagnostiquée par Walter Benjamin comme celle de la perte de l’aura. La réalisation la plus spectaculaire de ce phénomène est bien sûr le Marilyn Diptych, d’Andy Warhol (1962), car... qui est le plus célèbre dans cette œuvre, Marilyn ou Warhol ? Impossible de le dire tant y sont confondues deux valeurs, l’iconique et l’artistique. En ne travaillant qu’indirectement avec les images, la littérature ne bénéficie pas aussi bien des atouts de la star, mais elle peut transformer la fascination en traversée des apparences. Marilyn a ainsi donné lieu à un chef-d’œuvre littéraire, Blonde, de Joyce Carol Oates (Stock, 2000), qui prend le parti de l’exploration intime et psychologique, dans une langue inventive aspirant ses lecteurs et conférant une dignité splendide à l’intelligence fragile de l’actrice. Musée Marilyn, sans atteindre ce sommet, mérite vraiment le détour. Son autrice, Anne Savelli, a au moins deux points communs avec Oates : elle admire son sujet sans jamais le réduire, et elle en fait une réserve d’invention formelle et de réflexion éthique.

La très bonne idée du livre est de revenir sur toutes, d’abord mannequin, puis actrice, puis icône. La forme du musée, avec guide et déambulation de salle en salle, est un peu plus artificielle, mais elle structure l’ensemble et réserve des surprises. L’exposition suit un parcours chronologique, des premières images prises par le photographe hongrois André de Dienes, précédées des publicités de David Conover pour la Radioplane Company en 1944 ou 1945, au fameux Last Sitting devant Bert Stern en juin 1962. Il y a plusieurs prétendants à la dernière séance, mais Stern exploitera pendant près de quarante ans, de toutes les manières possibles, les 2 571 clichés pris ces jours-là et le mythe que la mort de l’actrice aura su créer autour d’eux.

Anne Savelli admire son sujet sans jamais le réduire et elle en fait une réserve d’invention formelle et de réflexion éthique

Entre-temps, près de cinquante séances avec plus de trente photographes différents sont racontées, dans une succession qui légende l’existence autant qu’elle tente d’inscrire une histoire derrière l’instant de la prise. Ce livre hyperdocumenté n’étale pas platement son savoir. Il retient les liens très variés que Marilyn a pu avoir avec ses photographes : exploitée, violentée, mais parfois aimée et protégée. Cela se joue très souvent entre confiance et emprise, comme avec Milton Green et sa femme Amy, dont elle fait ses agents et qu’Arthur Miller dégagera pour prendre aussi cette place. Les trois séances avec Eve Arnold, seule femme chez les portraitistes, forment un rapport di !érent : pas forcément plus doux ni plus abandonné, mais plus égal, notamment lors du voyage à Lincoln où elle la prend lisant Ulysse, de Joyce, dans un parc pour enfants. Il y a Philippe Halsman, l’homme aux cent une couvertures de Life ; Frank Powolny, dont les portraits de Marilyn couvriront la terre entière, « nos yeux en sont usés ».

John Vachon, ancien photographe de la Farm Security Administration, comme Walker Evans et Dorothea Lange, documente le tournage de La Rivière sans retour, d’Otto Preminger (1954), et en profite pour présenter la vie conjugale de Marilyn avec Joe DiMaggio. Edward Clark la photographie au Griffth Park, à L. A., lisant des poèmes, dans une série dont personne n’a voulu jusqu’en 1999 et que depuis tout le monde s’arrache. Il y a aussi cette séquence de 1954, en Corée, quand sa beauté devient encore plus vibrante d’être captée par cent mille photographes anonymes en treillis – un des chapitres les plus brillants et émouvants du livre. Derrière toutes les photos signées, qui ont assuré notoriété et richesse à leurs auteurs, il y a ainsi les innombrables regards qui se sont portés sur ces images. Il su !sait qu’un appareil soit braqué sur Marilyn pour qu’un attroupement se forme, comme lorsque Sam Shaw la prend avec sa robe blanche plissée sur une grille du métro de New York. Un raz de marée. Une fois, sur une plage, elle a failli être asphyxiée, noyée.

Où est-elle ? C’est le grand mystère que ce livre cherche à cerner. Apparaît-elle ou bien disparaît-elle derrière ces photographies ? Si Marilyn fait bien l’objet d’un male gaze étendu à l’ensemble de la société, si elle est l’icône à la fois de la beauté, de l’art, du sexe, de la culture pop, de la visualité généralisée, elle est aussi très consciente d’un processus qui la construit en même temps qu’il la détruit, qu’elle contrôle quand elle en est aussi la victime. Elle n’est pas interchangeable, car son intelligence reste vive quand son corps est toujours sur le point de disparaître. La photographie a peut-être atteint son apogée en produisant en même temps, avec elle, de l’éperdu et de la mort, de la présence superlative et du fantôme. La dimension en soi spectrale de la photographie semble contrariée par une femme qui se vit en fantôme et qui attend de l’image qu’elle lui donne un corps. Le nom de ce renversement est Marilyn Monroe. C’est ce que parvient à saisir Musée Marilyn, qui ne montre aucune image, mais qui rend visible en s’affranchissant du visuel. Grâce à une langue mobile, toujours à la lisière entre dit et caché, ce livre sur une star est aussi une intense réflexion sur l’image et sur le visible.

« Musée Marilyn », d’Anne Savelli, Inculte, 432 p., 20,90 €, numérique 16 €.

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