24/08/2022
ISBN : 9782360841820
432 pages
20.90€

VF en série. Premier bonus : l’exposition
dimanche 21 Juillet 2019, par
Volte-face est à la fois une fiction et le nom d’une exposition fictive. Dans la premier épisode, nous sommes restés sur le seuil, hésitant à entrer. Je vous propose, avant de lire la suite, de bifurquer : rendons-nous dans une véritable expo photo sur Marilyn Monroe qui vient de démarrer et sera ouverte tout l’été. Si vous êtes d’accord, nous allons même assister au vernissage. L’exposition s’intitule Divine Marilyn, est située galerie Joseph, rue de Turenne à Paris. Elle réunit quatre photographes très importants dans la vie de l’actrice : André de Dienes, Sam Shaw, Milton Greene et Bert Stern.
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Peut-être faudrait-il commencer par dire que cette visite a, par ma faute, assez mal débuté. Quelle idée de vouloir se rendre à un vernissage quand on n’est pas mondain-e, déjà ?
La dernière fois que j’avais fait ce genre de choses, c’était au printemps de l’année dernière. Agnès Varda présentait ses cabanes de cinéma à la galerie Nathalie Obadia. J’étais fatiguée, m’étais poussée à y aller, me disant que je pourrais peut-être lui parler un instant. Je voulais la remercier de son coup de fil pour Décor Daguerre, lui faire un petit signe. En traversant la rue de la Verrerie, je suis tombée par terre et, au lieu de comprendre l’avertissement, une fois soignée par le pharmacien je me suis rendue à la galerie en boitant, un pansement sur le genou, bien gros, bien visible.
Agnès Varda se reposait dans une petite salle. On pouvait lui rendre visite, c’était permis, mais j’ai hésité trop longtemps. Cheveux relevés, lunettes rondes, jeans et panier (où alors j’ai rêvé), de toute façon, Jane Birkin est arrivée. Voilà qui signait la fin de la valse-hésitation j’y vais j’y vais pas il y a du monde j’attends il y a toujours du monde je reviendrai plus tard tiens si je retournais regarder les cabanes. Soudain, le monde s’appelait Jane B.
Surtout, je me rendais compte de ma difficulté à supporter les gens qui tournaient autour de Varda (je ne parle pas de Birkin). Assise dans un coin, je les voyais entrer dans la salle principale, jeter un œil, se montrer. Il y a une certaine façon d’occuper l’espace, de réduire les autres à l’état de public qui ne trompe pas. Ils ne sont pas forcément nombreux, sans doute pas la majorité, ces gens qui se dressent, regardent qui les regarde, parlent fort, mais dès que je les vois j’ai envie de m’enfuir.
(ce que je fais)
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Je m’étais jurée de ne pas recommencer. Pourtant, j’ai assisté au vernissage de Divine Marilyn : qu’est-ce qui m’a pris ?
Ça a mal commencé, disais-je, parce que, acte manqué ô mon ami, je me suis trompée de jour : je suis arrivée la veille, alors que je connaissais la date depuis un moment. J’étais fatiguée, cette fois encore (la double relecture de Saint-Germain et de À travers champs, le prochain livre de L’aiR Nu, le démarrage du feuilleton...). J’ai franchi la porte, constaté qu’il n’y avait presque personne, demandé pourquoi : en fait, l’exposition était ouverte. Simplement, les mondanités avaient lieu le lendemain. Je suis sortie, un peu désespérée de moi-même (pas tant que ça, au fond : après tout, le jour J n’était passé), me suis dit que je n’aurais pas le courage d’y retourner, sans carton d’invitation, qui plus est. Et puis si. J’ai pensé : je vais arriver tôt, vers 17h, payer l’entrée et je profiterai de l’exposition. Ensuite, lorsque le vernissage commencera, on verra.
On verra quoi ? Eh bien, déjà, si je réussis à rester et ensuite, si je peux discuter quelques instants avec Joshua Greene. Joshua Greene est le fils de Milton Greene, photographe qui, dans les années 1950, a monté une maison de production avec Marilyn Monroe. Comme le font les filles de Sam Shaw, il s’occupe de l’œuvre de son père, disparu en 1985. Écrire sur Marilyn Monroe et la photographie, c’est croiser sans cesse ces noms, ces prénoms et presque jamais leurs visages.
Vous voyez le petit garçon, là ? C’est Joshua, à qui Marilyn a servi, de temps à autres, de baby sitter ! Bref. Galvanisée par l’idée du feuilleton, la veille j’avais pris mon courage à deux mains et lui avait envoyé un message, dans lequel je lui expliquais en quelques mots ce qu’était Volte-face. Trois minutes plus tard, il avait répondu en me disant qu’on pourrait en discuter au vernissage...
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17h. Arrivée à la galerie, donc. J’entre, parle une minute avec une jeune femme à l’accueil, apprends que Joshua Greene, comme on pouvait le supposer, sera là à partir de 19h. Je sais que l’exposition, sur deux niveaux, est très grande, qu’il y en a même une seconde située en face. J’ai deux heures devant moi : c’est parfait, et ce d’autant que pour l’instant, le lieu est quasi désert.
Au début, la visite est chronologique. Les premières photos présentées sont celles que tout fan de Marilyn connaît : celles qui la montrent bébé puis jeune fille. Bien sûr, quand on se rappelle ce que fut son enfance, on y voit davantage que ce qui est montré. Cependant, je ne suis pas sûre que ce soit pour cette raison précise que l’émotion naît. Marilyn Monroe disait d’elle-même qu’elle était une pure invention, une toile vierge sur lesquels les autres projetaient leurs fantasmes. L’espace d’un instant, ici, c’est peut-être faux.
Ensuite, chaque photographe dispose de son lieu à lui, de son "corner". Ce qui frappe tout de suite, c’est la mise en avant de ce que chacun connaît de Marilyn : la robe blanche de Sept ans de réflexion, scène d’envol qui, aujourd’hui, pour les jeunes générations, la résume d’ailleurs tout entière.
Elle est là, cette robe, à portée de la main, plus satinée et brillante que prévu. La séance en public, sur Lexington avenue à New York, mille fois déclinée, est une idée de Sam Shaw. Les photos, elles, ont été prises par tous les photographes possibles, dont lui. Tandis que je regarde, de jeunes gens s’affairent pour préparer le vernissage sous les ordres du maître des lieux (à la posture du corps et la portée de la voix j’imagine que c’est lui, du moins). Puis je découvre la salle dédiée à la dernière séance de Bert Stern.
(tout ce monde est dans mon livre, bien sûr)
Je monte ensuite à l’étage, principalement dédié à Milton Greene. Je fais un premier tour mais ce qui me frappe surtout, c’est la beauté du lieu. La clarté, l’espace, le silence, la lumière, la circulation et la transparence, l’intimité possible, les recoins. C’est si beau, si paisible que je m’arrête, m’assois, observe la disposition des pièces puis les textures des sols, les marches d’escalier, les plafonds, les vitres... Dans une heure, cette sensation va disparaître. Pour l’instant, le lieu m’accueille, sans raison aucune. Prendre des notes dans un carnet, changer de place, recommencer : c’est d’une rencontre qu’il s’agit.
Au bout d’un moment, je reprends ma peau de visiteuse. L’exposition est vraiment bien pensée, chaque espace exploité au mieux. Ainsi, la salle pin-up :
Photos, posters, disques : à connaître les clichés qui "manquent", je crois comprendre les choix - sauf celui de l’affiche de l’exposition elle-même, pourtant une photo de Sam Shaw... Histoire de marketing, sans doute.
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Ensuite, je fais un tour en face, dans la seconde exposition, intitulée Update Marilyn. On y promet de l’interactif et une expérience, ce qui m’intéresse, vu ce que raconte mon livre. En fait, je ne réalise pas que cette installation transmedia du collectif français Principe actif, je l’ai déjà croisée, d’une certaine façon : j’ai consulté plus d’une fois le site web de ce qui se présente à la fois comme un parcours sonore, visuel, théâtral et numérique.
Il faut dire ce qui est : je ne reconnais rien de ce que j’avais imaginé quand je cliquais, écoutais, lançais les vidéos. Certes, je n’ai presque plus de batterie, ne peux scanner les QR codes qui me permettraient de répondre aux questions posées. Et puis quand j’arrive, de toute façon, une partie de l’œuvre n’est pas encore installée. Seul un des écrans, à l’étage, fonctionne.
On y entend Adrien Gombeaux, l’auteur de Une blonde à Manhattan, très bon livre sur le reporter Ed Feingersh et la semaine qu’il passa avec Marilyn à New York. Dans la salle d’à côté, les ouvriers testent l’expérience. Par moments ça rugit.
On l’aura compris, je pense : il s’agit en fait d’une bouche de métro qui souffle de l’air. Cet homme, qui a bien voulu que je le photographie, n’a pas un gramme de ventre, en réalité. Bon. Il faudrait voir ce que ça donne une fois les travaux terminés, les écrans posés, mais je suis un peu déçue, je trouve ça gadget. Les photomontages où Marilyn apparaît dans des lieux contemporains, parfois parisiens, ne me convainquent pas non plus.
J’en attendais trop, peut-être, ou alors n’ai-je pas compris, pas su relier les éléments. Ou encore est-ce le lieu, en face, celui de l’expo principale, qui m’a envahi l’esprit. Ou n’ai-je pas apprécié et n’y a-t-il rien d’autre à dire. Ou encore faudrait-il revenir. Je me pose ces questions quand je découvre que le site que j’aimais et cet Update Marilyn sont une seule et même chose.
(et comment l’ai-je su ? Par Joshua Greene !)
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19h. Retour en face. Début de vernissage. Je passe grâce à mon billet (c’était donc tout simple, le suspense est clos) et me rends vite compte qu’avec ce monde qui vient, s’entasse, je n’aurais jamais pu saisir ce que le lieu vide m’a offert. C’est d’autre chose qu’il s’agit maintenant : de spectacle pur. Parce que c’est étouffant, dépersonnalisant, surtout quand on est seul-e, qu’on ne peut échanger aucune impression, je décide pour m’amuser de suivre ceux qui regardent ceux qui regardent et ceux qui viennent se montrer : les photographes.
Chez eux aussi, il semble y avoir les stars et les modestes, les timides et ceux qui s’imposent, se laissent voir.
Mais déjà du nouveau : qui arrive, soudain ? Marilyn elle-même (ici, avec une des filles de Sam Shaw).
Comme la Cadillac rose à l’entrée, louée pour la soirée et qui n’est à personne, la fausse Marilyn, devant les photos d’André de Dienes (MM toute jeune, mimant la mort), de Shaw (MM à New York, assise sur un banc), de Greene (MM en robe longue jusqu’aux pieds) et même de Stern (MM nue, cicatrice non censurée), concentre les clichés que la vraie, de séance en séance, a cherché à fuir.
Ultime parodie : le selfie devant les images d’elle-même.
Munie d’un téléphone à son effigie, on ne sait si elle se prend simplement en photo devant les portraits de Greene, si elle inclut le photographe placé derrière et/ou le public qui la regarde. Selfie au carré, au cube, puissance 10. Selfie suprême (cette jeune femme est un sosie officiel, apprendrais-je plus tard. Je croyais la reconnaître sur internet pour la nommer ici. Or non, je n’ai pas su la distinguer des autres).
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Mais j’abrège : oui, j’ai fini par parler quelques instants à Joshua Greene (vous reconnaissez la photo ?), à qui j’ai dit une foule de bêtises et qui m’a écouté patiemment. Ensuite, je n’avais qu’une envie : sortir ! Dehors, qui sait pourquoi, on marquait au sol la Cadillac rose
tandis qu’une dame du quartier, qui aurait aimé rentrer gratuitement et pour laquelle je ne pouvais rien, se vengeait en racontant des méchancetés. Je suis repartie sonnée, honteuse et sans regrets, sachant que ce qui comptait c’était ce moment passé avec le lieu, seule à l’étage.
Assise sur un banc du boulevard du Temple avant de reprendre le métro, malgré cette honte persistante d’avoir forcé ma nature (je me sentais dans un trou, maintenant), j’ai pensé que je n’étais pas tombée, ne m’étais pas ouvert le genou. J’avais croisé le sosie de Marilyn, Joshua Greene et les filles de Shaw ; bu du champ’, testé la bouche de métro soufflante (car oui, forcément) ; vu des photos d’enfance ; photographié des photographes ; entamé mon carnet d’été et pensé à ce bonus. Ce serait drôle à raconter, ce moment qui ne ressemblait à rien, à rien de ce que je vivais d’habitude, du moins.
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J’ai écrit Volte-face comme mes autres livres : pour que le texte m’entraîne où je ne suis pas allée. Pas nécessairement dans un vernissage ni à Hollywood (quoique !). Partout où j’ai envie d’écrire, en réalité.
Messages
1. VF en série. Premier bonus : l’exposition, 24 Juillet 2019, 09:02, par Christine Simon
ce rapport aux vernissages, quand on y connaît personne....
2. VF en série. Premier bonus : l’exposition, 27 Juillet 2019, 10:59, par PdB
Merci du "voyage" - ces vernissages apportent au moins ethnographiquement - j’aime beaucoup (par exemple) les basketts et les barbalakons (c) portées par la part masculine des présents - encore que la féminine ait elle aussi quelques traits plutôt caractéristiques - entrée 12 euros j’ai reculé - jte parle même pas du reste en face ("interactif" je veux bien, mais "immersif" serait mieux - ou encore bien mieux "disruptif") ou consacré à la Jackie brunette de service - ça c’est Paris ? eh oui (la semaine de la mode dans les Tuileries, la FIAC au grand palais et autres choses d’un même tonneau : et il y a des gens, toujours, des gens... ) - la trivialité (ce que ça peut être drôle hein) de la soufflerie : on ne s’attend pas à un tel gouffre dans l’imbécilité (mais elle n’a pas de fond). Bonne continuation...!!
3. VF en série. Vernissage !, 27 Août 2019, 11:32, par Philippe Girault-Daussan
Vous faites mieux que ça, tout en la faisant luire et briller.