parution le 03/10/2024
ISBN 978-2-490364-42-8
53 pages
12 euros
Arcs et impasses
dimanche 6 Juillet 2025, par
(Paris, pari Paris, toujours)
Or donc je suis allée voir Maud Thiria en son royaume, entre deux vagues de canicule, et nous avons eu la surprise de nous retrouver, tout en haut de l’Arc de Triomphe, seules ou presque, le monument ayant été évacué pendant que nous discutions dans le bureau qu’elle occupe après l’arrivée surprise du ministre de l’intérieur venu, sans prévenir les agents, rendre son hommage annuel aux pompiers.
C’était drôle, cet arpentage sur la terrasse déserte, après la foule de touristes croisée dans le métro Charles-de-Gaulle Étoile et à l’entrée une heure plus tôt. C’était drôle pour Maud et pour moi, bien sûr, pas pour les visiteurs ni pour le personnel chargé de contenir leur déception. Sur le moment, je me disais joyeusement que l’écriture peut ouvrir des portes et offrir, une fois de temps en temps, un peu de fantaisie impromptue.
Je suis vite redescendue sur terre en apprenant, dans le même temps, mes réels chiffres de vente pour Musée Marilyn. Chercher un appartement, c’est collecter toutes sortes d’informations, dont celle-ci. Voilà typiquement ce que c’est que la vie d’écrivaine : un passe-droit une ou deux fois par an mais aussi un certain nombre de claques (cela étant valable pour tout le monde, c’est un système). Bref, comment surmonter ce qui peut donner l’impression d’un désavœu, et ne pas se laisser gâcher le bon moment qu’on vient de passer ?
(Maquette du quartier que personne ne peut voir, cachée dans le monument.)
Merci à mon éditeur de me remonter le moral par sms. Merci à Maud qui m’accueille, à L’aiR Nu d’exister toujours, de poursuivre les projets, dix ans après sa création. Pas merci, en revanche, au propriétaire de mon immeuble qui, si ça se trouve, ne fera jamais ces p. de travaux, raison pour laquelle il nous vire, cherche juste à nous faire partir. D’avoir écrit 18 livres publiés dans cet appartement, en 23 ans, n’a aucun poids. Il faudrait taire cet argument, honteux, inaudible tant qu’on ne produit pas de best seller, quand, partout, on place des plaques pour attirer le touriste, machin est né ici, bidule a écrit là, goûtez nos crêpes Baudelaire, voici une tasse Rimbaud.
Quand on produit des best sellers, on ne se fait pas virer de chez soi, en même temps.
Bref.
(Ceci est un fragment de mur peint jouxtant un immeuble dans lequel, peut-être, se trouve un trousseau de clés qui permettrait d’ouvrir la porte d’un appartement, dans un autre immeuble, dans un autre quartier, nous offrant alors le loisir de savoir que faire de nos vies dès maintenant, ou du moins, de prendre une décision. Mais la porte de la pièce dans laquelle se trouve, peut-être, ce trousseau de clés est fermée jusqu’à fin août. Personne ne s’occupe de savoir comment ces clés pourraient être récupérées pour effectuer une visite, visite que nous sommes censés avoir déjà faite. Personne ne répond au téléphone, ne donne aucune information. Démerdez-vous pour savoir qui remplace le remplaçant du remplaçant. Début juillet, ce sont les vacances, n’est-ce pas. Allez bien vous faire voir, vous regarder, vous mirer, dans le bleu limpide d’un lagon. Voilà ce qui nous est envoyé.)
La semaine se poursuit et je suis toujours aussi furieuse. La situation, qui déclenche espoirs et déceptions dix fois par jour, me ronge le cerveau et m’empêche d’écrire. Or, quand on m’empêche d’écrire, soit j’invente un outil pour écrire quand même (Fenêtres, Des oloés) soit je sors la sulfateuse, ne suis plus que fureur et détestation.
Ce qu’il y a, dans la vie, c’est que je suis persuadée que j’ai raison. C’est cela, et cela seul, qui m’a permis d’écrire, puis de publier, puis encore d’écrire, et de publier. Puisque j’ai réussi à le faire, malgré tous les obstacles, c’est que j’ai eu raison de m’obstiner, me dis-je. Logique imparable. Le reste du monde, alors, me crie non. Et je n’en tire aucune leçon.
Jamais.
Jamais !
Je me suis bâtie sur le fait de ne pas renoncer, ce qui implique de devoir souvent, très souvent, quasi sans arrêt, effectuer des zigzags, dessiner des arcs de cercle, au lieu de tracer des lignes droites. Pour tendre vers ce que je voulais, il a fallu me contorsionner, m’adapter, encore et toujours, avoir un temps d’avance, plusieurs employeurs à la fois, puis créer mon propre métier, ce que j’ai accepté sans jamais me renier.
Mais là, j’en ai marre.
J’en ai marre, c’est tout.
Le grand projet de L’aiR Nu, Par-là Paris, heureusement, avance peu à peu et, sur le moment, pendant les repérages, procure de la joie. Tant mieux, et je sais bien qu’il suffirait d’une ou deux bonnes nouvelles pour me remettre d’aplomb. Ce n’est pas le tout, cependant, d’animer des lieux et de faire découvrir des textes. Il faut écrire, aussi. Il faut écrire d’abord. Là-dessus, je ne changerai pas d’avis.
Jamais.
(Les photos vintage viennent du fonds C’était Paris en 1970.)
Un message, un commentaire ?
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
















