parution le 03/10/2024
ISBN 978-2-490364-42-8
53 pages
12 euros
Boucles et flèches
dimanche 7 Décembre 2025, par
Mercredi, 5h45 du matin, levée très tôt, comme depuis le début, ici. Comment nommer, ici, dans le semainier, ce ici de l’appartement ?
La photo ci-dessus a été prise dans l’ancien appartement, juste avant le départ. Le piano, auparavant, était envahi (j’exagère à peine) de livres, dossiers, DVD, figurines, dont le Batman sans pied que j’ai souvent montré. Cette épure qui "fonctionne" avec le film de Wenders n’a jamais existé ailleurs, ni autrement, qu’à l’instant du départ.
Dans le reflet du piano, j’aperçois la lampe qui se trouvait à côté de la chaîne avec lecteur CD, lecteur de cassettes audio et radio qui m’ont accompagnée quatre décennies durant. Cet ensemble audio, assez imposant, je l’ai gagné à un jeu télé au milieu des années 1980, eh oui. Pour des raisons de place, bien sûr, il fallait s’en séparer. Il y a deux jours, il a été donné, formant ainsi une boucle parfaite, au nouveau dealer qui écoute de la musique au bas de l’immeuble, sur le banc de Jacqueline. Il paraît que son visage s’est illuminé au mot "cassette".
(J’écris "nouveau" car les autres, depuis un quart de siècle, se succèdent par groupes au carrefour sans que je les distingue nommément. Lui reste seul, ou avec sa copine, raison pour laquelle nous l’avons remarqué.)
(Pourquoi une "boucle parfaite" ? Parce que les dealers écoutant de la musique sont à l’origine de Bruits, qui paraît maintenant dans un mois.)
Je n’étais pas présente, à ce moment-là. J’enregistrais, dans le 6e arrondissement, l’émission Métaclassique de David Christoffel, qui sortira en janvier, ou peut-être plus tard. J’y intervenais sur Bruits, justement. Pour m’y rendre, j’avais pris le métro à partir du nouvel appartement, où je vis, désormais, et réalisé en route que je suivais exactement le même trajet que celui qui rythmait ma semaine lorsque j’étais étudiante (chez moi / Sorbonne). Car oui, je retourne là où j’ai vécu à 18 ans, dans le même quartier.
Tout n’est pas encore terminé, cependant. Au moment où j’écris, il reste deux épreuves. Pour commencer, en fin de matinée, je laisserai les clés de l’ancien appartement à un homme (ou une équipe, je ne sais pas) qui viendra prendre des mesures afin d’effectuer des travaux. Nous avons fait le ménage, il reste peu de choses — trop encore pour qu’on ne rende véritablement les clés, seconde épreuve. Ce sera demain soir.
Je ne veux pas entrer dans l’appartement avec ce ou ces hommes. Je ne veux pas avoir à leur parler. Je veux les saluer, tendre le trousseau, me rendre au café (une amie m’accompagnera), attendre qu’ils reviennent, me le rendent, au revoir, c’est tout. Je veux échanger le moins possible. La violence sociale de ces moments-là est tout autant non-dite qu’évidente, raison pour laquelle je ne suis pas mécontente que ma chaîne audio se trouve désormais entre les mains du dealer et le bureau sur lequel j’ai écrit la plupart de mes livres chez un jeune couple qui, dixit ma voisine, avait l’air sympathique quand il l’a embarqué hier soir, le prenant au bas de l’immeuble où nous l’avions déposé.
Vendredi matin, tout sera fini. Vendredi matin, ça tombe bien, j’interviendrai l’Université Gustave Eiffel de Marne-la-Vallée pour dire, entre autres, quelque chose de mes livres. La plupart forment des boucles, semi-boucles, rhizomes. Ils reviennent sur leurs propres traces. Certains, cependant, m’évoquent plutôt des flèches. Une fois que la direction est donnée, plus moyen de revenir en arrière. Voilà ce que je raconterai.
(Le seuil du nouvel appartement, où l’homme dont il est question ci-dessous ne mettra jamais les pieds.)
Mercredi soir J’allais en terminer là pour le semainier mais je me suis fait littéralement agresser par le type venu prendre les mesures, un personnage odieux, responsable de je ne sais quoi dans l’ancien immeuble, dont j’ignore le nom et dont je ne me souviens déjà plus du visage (Je ne suis pas physionomiste : si je le croisais à nouveau, je ne le reconnaîtrais pas.) mais d’autant plus virulent, sans doute, qu’ayant commencé à déblatérer sur tout et n’importe quoi (la date du rendu des clés, qui ne le concerne pas, entre autres) pour imposer sa force, montrer qui était le chef au lieu de, simplement, prendre le trousseau que je lui tendais, il s’est entendu répondre, simplement, de ma part : "Je n’ai rien compris". "Alors je vais recommencer en bon français", a-t-il répliqué, s’imaginant me toiser (Je pensais au contraire : "Tu es en train de me dire que tu ne sais pas parler, est-ce que tu t’en rends compte ?") et il a repris son laïus, hautain et suffisant. Assistant à la scène, mon amie s’est adressée à moi, devant lui, pour m’annoncer : "Tu sais, tu peux arrêter de l’écouter quand tu veux." Puis elle a clos le débat en l’informant : "On va s’arrêter là, on a beaucoup à faire".
Quand nous sommes sorties de ce guêpier, elle m’a répété plusieurs fois : Tu n’as rien de commun avec ce type. Tu n’as rien à voir avec lui, vraiment. Et d’ajouter que les personnes qui jettent les autres dehors communiquent généralement par l’agressivité — ce qui n’est nullement une excuse, juste une façon de dire que ce n’était pas moi, à titre personnel, qui étais attaquée.
Je ne veux plus retourner dans ce lieu, plus jamais.
Ce lieu où j’ai élevé un enfant, écrit vingt livres, voilà ce qu’il en a fait, ce connard viriliste, en une minute à peine.
Et pourtant, comment faire ? Il faut y retourner, rendre les clés, demain.
(Pas à lui, heureusement.)
Je vais me calmer. Je vais trouver comment faire.
Jeudi Hier soir, j’ai fini par lui donner un nom, au type, je l’ai appelé CV (Connard Viriliste, donc), et ce matin, je me suis levée en me disant que dimanche, je retournerai peut-être à l’aïkido.
Le soir Voilà, ça y est, c’est fini, pas revu le CV et les clés sont rendues.
La vie reprend, enfin.
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