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Celle-là qui est moi

dimanche 28 Janvier 2024, par Anne Savelli

(trouvé à Clermont-Ferrand, devant la cathédrale)

Ce mercredi, j’anime un atelier à la fac de lettres de Clermont-Ferrand en m’intéressant à l’image de soi. Pour cela, je montre d’abord cette réponse de Jane Fonda à Delphine Seyrig dans Sois belle et tais-toi :

Puis je fais écouter la lecture d’un texte, Peaux retournées, écrit par Christophe Grossi il y a dix ans. Le voici :

Peau

Dans les deux cas, il s’agit de se sentir divisé·e et de tenter de comprendre pourquoi. Une part de soi, en représentation, n’est pas en accord avec l’autre : que se passe-t-il, alors ?

J’ai la chance de me trouver rarement dans ce type de situation, depuis quelques années. Bien sûr, quand j’anime un atelier, je ne suis pas exactement la même que celle qui, une heure plus tard, marche dans la ville ou prend un café. Ni la même que celle qui, ensuite, se tait, écrit, etc. Cependant, cette distorsion n’est pas si grande.

Elle l’était, au contraire, à un point inimaginable quand j’ai commencé à travailler. Je ne sais pas si je serais capable, aujourd’hui encore, d’expliquer la violence que je ressentais face à l’emprisonnement dans lequel j’avais l’impression de me trouver. Certes, il s’agissait de boulots mal payés, précaires, sans intérêt ou encore, soumis à une hiérarchie pesante. Mais il ne s’agissait pas que de cela. Comment dire ? À la vingtaine, je me sentais vidée de ma substance. On me volait ma vie et mon temps d’écriture. Il m’était impossible, alors (ça l’est toujours) d’entendre que c’était "pour tout le monde pareil" et qu’il fallait se résigner. Est-ce qu’on choisit ? Pour certain·es, le corps parle. Il refuse cet état de fait et met tout en oeuvre pour bien le faire comprendre — jusqu’à la paralysie, par exemple.

(Exposition de Sophie Calle, À toi de faire ma mignonne)

Après la marge, c’est justement au corps et au mouvement que je vais m’attaquer, ces prochains jours, pour l’épisode de mars de Faites entrer l’écriture. Le corps racontant l’écriture, l’écriture sujet du corps : nous verrons comme tout cela s’imbrique, mais je suis très heureuse d’avoir pu interroger Séverine Daucourt, Anne Mulpas et Pierre Ménard à ce sujet. Une partie du podcast sera diffusée dans la grande salle de la Maison de la poésie dans deux semaines, lors d’une formation destinée aux enseignants. Ce sera la première fois qu’on pourra l’entendre hors plateforme, suis-je en train de réaliser.

(Il faut que je bosse, d’ici là !)

Et puisque nous en sommes à parler podcast, j’en profite pour faire mon auto-promo : ce jeudi 25 est sorti un nouvel épisode, consacré à ce que j’ai appelé "le syndrome de la page pourrie". Autrement dit : que se passe-t-il quand on ne supporte plus ce qu’on écrit ? Les premiers retours de mes abonnés sont très encourageants, je suis vraiment contente !

Parallèlement, j’ai passé (sur ce site, Spotify, Apple podcast, Youtube...) le sixième épisode en public. Il s’intitule "J’ai testé pour vous la méthode Cameron". Sans que ce soit calculé, les deux sont liés, me semble-t-il.

(Exposition de Sophie Calle, À toi de faire ma mignonne)

Bref. Celle-là qui est moi, qui doute de ce qu’elle écrit, se débat et écrit quand même, puis le raconte dans le semainier, est la même que celle qui écoute les autres, les enregistre, motive les étudiants, répond à leurs messages. Pas de division(s), dans cette vie-là. C’est pourquoi, découvrir que je viens d’être, comme 2000 autres, traitée de cafard parce que j’ai signé une tribune, me laisse froide, au fond — ce qui, sur le moment, ne manque pas de m’étonner. L’affaire se poursuit tandis que, dans le Clermont-Paris du retour, j’essaye de continuer à écrire le livre en cours, tout en sachant que j’ai, par ailleurs, des épreuves à corriger, des textes à lire, des retours à faire, un enregistrement à dérusher, puis à monter, un autre livre à écrire, sans parler de ce journal... J’en conclus que je vis, tout simplement, la même vie que les signataires de cette tribune que je connais — et j’en connais beaucoup —, lesquels se démènent depuis des années sans que la grâce, n’est-ce pas, ne leur soit tombée dessus. Comment se fait-il que ces noms me soient familiers, alors qu’ils sont "inconnus" par ceux qui les attaquent ? Parce que je les croise sur le terrain, pardi.

Nonobstant, sommes-nous vulgaires ? Bien sûr : merci, la rue, de m’avoir fait cadeau de la phrase. Nous sommes inconnus de ceux qui nous ignorent, c’est logique. Et donc ? Ce type d’assertion fonctionne en miroir. Les phrases se retournent comme des gants.

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