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Dans le courant

dimanche 27 Avril 2025, par Anne Savelli

Lundi J’étais précisément en train d’arriver, en voiture, à Varengeville-sur-Mer, en haut de la falaise où se trouvent cette église et ce cimetière marin, falaise qui s’érode, église Saint-Valery vouée à disparaître, à s’effondrer — et le cimetière, où sont enterrés Georges Braque et sa femme, Marcelle Lapré, il va, lui aussi, basculer dans le vide ? — quand j’ai appris, sur mon smartphone, de ma place arrière, la mort du pape.

Tout de suite, je me suis rappelée plusieurs choses, absolument païennes. À Saint-Germain (en-Laye), à la mort de Jean-Paul 1er, décédé un mois après le précédent, Paul VI, cette remarque d’un ami d’enfance me disant (nous étions donc enfants) que nous allions en connaître plus que prévu, de morts de papes, dans notre propre vie, remarque qui me revient, systématiquement, à chaque nouveau décès papal — faut-il compter Benoît XVI, qui a démissionné, à propos ? Je crois même que je me rappelle le lieu exact où il l’a faite, cette remarque, une sorte de dépendance, entre la grange et le garage, rue de Paris, attenant à la maison de je ne sais plus quelle connaissance et où, quelques années plus tard, eurent lieu un certain nombre de boums.

Me retrouvant en charge d’annoncer la nouvelle, je me suis également rappelé, bien sûr, ce célèbre lapsus d’un présentateur de radio, lapsus qui passe de génération en génération (je n’étais pas née quand "le pope est marre"), tradition que je perpétue moi-même puisque j’ai, le soir même, transmis cette information à mon fils, lequel m’a alors fait écouter ceci. On s’éloigne du sujet, je sais, sans s’éloigner, pour autant, de la mort.

Voici, d’ailleurs, la tombe de Georges Braque, lequel a réalisé certains des vitraux de l’église, dont celui-ci, devant lequel je suis restée en arrêt (la photo n’est pas terrible, mais) :

Mardi Cimetière, toujours, mais cette fois à Paris. La bulle d’air hommage à Maryse Hache prend forme, nous avons trouvé le parcours et les textes, ne reste plus qu’à fignoler, puis bien répéter les lectures. Je découvre en ligne la déambulation de la comédienne et clown Caroline Lemignard, qui a créé le spectacle Abyssal cabaret, duo dont Maryse avait écrit le texte. Ce que nous ferons sera très éloigné, bien sûr. Il ne s’agit, pour nous, que de lire dans les espaces choisis. Mais je me rappelle ce que j’ai pu observer en travaillant avec la compagnie de danse Pièces détachées. J’admire cette capacité à traverser et révéler les lieux autrement, par le corps, et le risque encouru (à mes yeux, du moins) à le faire.

Mercredi Le matin, à la piscine, je remarque une femme qui, dans la ligne d’eau la plus large, n’arrive jamais à s’inscrire dans le flux. Bonne nageuse, elle regarde cependant autour d’elle comme si elle était perpétuellement inquiète, s’arrête au milieu de ce qu’elle a commencé d’entreprendre, laissant penser qu’elle se sent gênée par la présence des autres alors qu’il y a peu de monde — objectivement, il n’est pas difficile de se glisser dans le mouvement d’ensemble. Elle finit par gêner un peu elle-même, sans le vouloir. Elle oblige à tenter d’anticiper ce qu’elle va faire, à regarder, sans cesse, où elle en est, pour la contourner. Je la sens anxieuse à l’extrême — sans rien en savoir, bien sûr.

(Je me souviens que la piscine peut faire, dans ce cas, caisse de résonance, au lieu d’apaiser.)

Parfois, je crois que je ne sais pas m’inscrire dans un flux, que je suis à l’écart, à contre-courant. Ce matin, brusquement, je me dis que c’est faux.

Je crois que c’est plutôt ce que la société, telle qu’elle se présente, capitaliste et patriarcale, voudrait nous faire intérioriser (je dis nous au lieu de je, parce que je pense que c’est systémique). Pour cela, rien de mieux que la menace, l’épée de Damoclès, le jugement. Or, nous sommes dans le courant, au contraire, lorsque, sans peur, nous prêtons attention aux autres, aux mouvements du vivant. Nous sommes parfaitement utiles, à faire ce qui n’entre pas dans le PIB.

Jeudi L’exposition sur la relation d’Agnès Varda à Paris, vue hier au musée Carnavalet, me donne envie de mettre en oeuvre ce que j’ai envie de faire chaque fois que je vois une exposition sur/de Agnès V, Sophie Calle ou Christian Boltanski : ranger/classer tout ce qui traîne et a un rapport avec l’écriture. C’est décidé, aujourd’hui, je m’y mets.

Vendredi Le rangement a bien avancé, je classe dans des boîtes ce qui, auparavant, s’éparpillait partout. J’ai ainsi une boîte Musée Marilyn/A même la peau, une boîte Décors (Lafayette, Daguerre, Dita Kepler + Mystag, le magicien de Daguerréotypes), une boîte "souvenirs" (d’écriture et de voyages), une boîte Bruits (bien sûr), une boîte Ville (bien sûr aussi) et une boîte ateliers. L’après-midi, avant d’aller enregistrer vous saurez qui le mois prochain pour le nouvel épisode de Faites entrer l’écriture, j’envoie un mail au musée Carnavalet pour leur proposer de placer Décor Daguerre dans leur librairie-boutique — l’espoir fait vivre, n’est-ce pas ? (Chaque fois que j’entends cette expression, je pense à L’Eté de Camus, nous disant que non, la vie ce n’est pas l’espoir. Bref.) En rentrant, après trois heures et demi (!) de discussion inlassable avec vous saurez qui bientôt, je lis les premières réactions au nouvel épisode de mon podcast, consacré au Festival du livre au Grand palais. Aller-retour, marché 5 kilomètres. Excellente journée, donc.

De la mer, des vitraux, du cimetière, de la poésie, de la nage, de la marche, du rangement, du podcast, une exposition. Excellente semaine sans Bruits.

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