23/11/2015
Livre numérique
Diffusion : Immatériel
ISBN 979-10-90340-06-0
Déplacements
dimanche 28 Septembre 2025, par
(Avant toute chose, le nouvel épisode de Faites entrer l’écriture est paru. Il évoque le délicat moment de la relecture des épreuves d’un livre. C’est ici. Comme disait un certain magazine littéraire, soyez un ange, abonnez-vous !)
Samedi soir Ça remue. De nouveaux voisins du dessus, qui font des travaux depuis quelques jours, organisent leur pendaison de crémaillère vendredi prochain et nous invitent par politesse. Tiens, tiens, on croyait qu’on était virés, nous les locataires historiques, parce que le propriétaire se lançait dans de grands travaux exigeant de vider l’immeuble : c’était donc faux ? Bienvenue au co-living, cette nouvelle façon de faire de l’argent dans l’immobilier.
Durant la journée, j’ai commencé à ranger mes dizaines de carnets en les ouvrant, les relisant, les datant. J’ai appris mille choses sur ma propre vie que j’avais oubliées (les plus anciens, pour le moment, datent des années 1990).
Ces trente années brassées me chamboulaient déjà, et voilà que nous emporte l’évidence du mensonge. De fait, les affaires sont les affaires, nous ne rapportons pas assez, n’existons pas un seul instant pour le propriétaire de cet immeuble situé avenue Simon Bolivar, Paris 19e, dans lequel, pendant 23 ans, j’ai contribué à élever un enfant, ai pensé à Bruits, l’ai écrit, ainsi qu’une vingtaine d’autres livres (il faudrait que je les compte tous, pas uniquement ceux qui ont été publiés)...
Bruits qui va sortir, heureusement, dédié à lui, l’enfant devenu adulte.
Lundi Beaubourg ferme, c’est fini. J’y fais un dernier tour car de discrètes installations ont été glissées dans certains casiers des vestiaires, ce que j’ai la chance de savoir. J’enregistre une des artistes avec mon téléphone (que je n’utilise jamais de cette façon), heureuse d’être revenue par une porte dérobée, laquelle se révèle, grâce à ces fragments de miroirs glissés en contrebande, une ouverture possible.
En sortant, j’apprends qu’une ultime fête aura lieu le mois prochain, sur deux jours, au Centre Georges Pompidou, à 40 euros la soirée. Non merci.
Mercredi Départ pour Arles le matin, sans avoir beaucoup dormi. J’aimerais faire quelque chose de ce très court séjour et pour cela j’emporte mon enregistreur, trois livres, trois carnets, mon ordi. Le mieux serait tout de même de se laisser porter. De faire comme Ella Maillart, dont Nicolas Bouvier disait : "Elle demande peu, mais elle prend tout ce qui passe". La radio m’a appris au lever que Claudia Cardinale venait de mourir, ce qui m’a touché davantage que les énièmes déclarations trumpiennes sur le climat — pas envie, une fois de plus, d’être rivée à l’agenda mental de cet homme.
Entamé un nouveau carnet, acheté dans les années 1990 à Istanbul, resté vierge jusqu’ici.
Une fois sortie du train, je retrouve mon éditeur. Il me fait grâce d’une séance photo prévue à 15h, percevant la phobie qu’elle m’inspire : immense merci à lui. Je respire.
En fin d’après-midi, de retour d’une exposition (grande chance : la présentation de la rentrée de janvier aux représentants, chez Actes Sud, correspond aux rencontres photographiques d’Arles), je me dis qu’en effet, j’ai pris tout ce qui était à ma portée, paroles, regards, échanges, sans même rien demander. Des visiteurs sont venus spontanément me parler devant un mur de clichés pris par une anonyme (Lucette, quasi créatrice du selfie des années 1950 à 70, pourrait-on dire !). Ils se sont exprimés, racontés, c’était magique.
Depuis que je fais du podcast, je constate activement à quel point il est toujours plus enrichissant, pour moi, de laisser parler les autres que de parler moi-même — et ce, même si j’adore évoquer mon travail, décortiquer le processus et dispose d’un ego parfaitement constitué. Les gens qui se racontent, très souvent, me passionnent, surtout s’ils n’en ont pas l’habitude. Je me souviens d’Agnès Varda dans Les Plages d’Agnès expliquant cela. À l’époque, je n’étais pas totalement convaincue, soupçonnant un peu de fausse modestie. Maintenant, je comprends.
Les rencontres ont lieu. Avec Antonin Crenn, nous n’intervenons pas le même jour, ne faisons que nous croiser, chacun en partie délivré d’un texte auquel il aura pensé des années. Je garde précieusement ce qui m’a été dit durant la soirée du mercredi par Claro, bien sûr, par une éditrice d’Actes Sud qui a lu Bruits, par les représentants avec lesquels j’ai discuté et même par le photographe, déçu que je ne sois pas venue au rendez-vous, qui m’en proposerait bien un autre.
Dans le train du retour, coincée dans un carré, mon voisin d’en face m’apparaît immédiatement comme un immense connard, sûr de son fait, cherchant à accaparer le territoire. Il repousse mes pieds à de multiples reprises comme si le sol lui appartenait. La soixantaine, un chapeau mou posé devant lui, il ressemble vaguement à Jean Richard dans Maigret ou, quand il ôte ses lunettes pour s’assoupir, jamais longtemps, hélas, à Claude Chabrol. Il tapote nerveusement la tablette une fois terminée la lecture de son Parisien et avoir parlé, assez fort, avec son ami et voisin — j’ai précautionneusement mis mon casque, je ne veux pas savoir ce qu’il raconte, ce qui prouve que je n’ai pas envie d’écouter tout le monde non plus. Bref, je ne me démonte pas, ne déplace en aucune manière mes pieds et décide d’agir autrement qu’en m’énervant, et ce d’autant moins que nous avons des heures à passer ensemble.
Je tente une expérience. Je sors un de mes carnets, puis un deuxième, puis un troisième et j’écris alternativement sur les trois sans jamais m’arrêter (ce qui me permet, par là-même, de travailler et de trouver des idées). Si, au début, je le décris, lui, pour évacuer l’agacement, au bout d’un moment, je passe à autre chose. Et là, miracle. Il est désarçonné. Il abandonne.
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Messages
1. Déplacements, 28 Septembre, 09:55, par Gilda
C’est une jolie concordance des temps : tu fais avec tes carnets ce que je fais avec mes blogs (obligée de tout déménager ou au moins sauvegarder avant la fin de ce mois car Typepad la plateforme où j’étais, ferme). Et moi aussi je redécouvre mon existence. Phénomène accentué chez moi par le fait que les événements très marquants entraînent chez moi des sortes d’amnésies sur les périodes semaines avant semaines après. Donc j’ai des passages que je relis en mode Ah oui, quand même !
Co-living, vous vous faites donc dégager pour ça. Mais à quel point est-ce légal ?
Je suppose que ces nouveaux locataires n’avaient pas la moindre idée de ce qui préludait à leur emménagement.
Varda : C’est marrant, pour moi ça a toujours été évident (écouter les autres le plus intéressant) et c’est pourquoi j’ai tant aimé tenir la petite émission de radio Côté Papier. Mais ça n’était pas jouable en plus d’un autre travail. Et le bénévolat, ça va bien si c’est ponctuel ou pour un travail d’assistance aux autres, pas sur la durée.