parution le 03/10/2024
ISBN 978-2-490364-42-8
53 pages
12 euros

Devenir gris
dimanche 9 Février 2025, par
Mercredi. Tandis que j’entame ce semainier, une playlist "Alternative 80" dans les oreilles, voici qu’apparaît Fade to Grey du groupe Visage. Devenir gris, voilà ce qui nous attend, avec ce gouvernement qui dynamite la culture (chaque jour, chaque jour).
Je me permets de partager le début du résumé qu’a fait le directeur commercial des éditions La Peuplade Julien Delorme sur Facebook de la situation car il a passé son post en public.
À la radio, quand les journalistes parlent du gel de la part collective du Pass Culture, qui vient mettre à mal de nombreux projets qu’ont monté cette année les artistes en milieu scolaire, leur coupant l’herbe sous le pied, souvent, ils ne citent que les compagnies de théâtre en exemple. Or, pour beaucoup d’auteurs, qui traversent le pays de part en part (je l’ai fait pendant des années, ai décidé d’arrêter de mener cette vie-là en juin dernier, sans du tout être sûre de la suite), ces interventions sont souvent leur principale source de revenus, à eux aussi.
Ce matin, j’ai décidé de commencer la journée par écrire dans mon carnet rouge tout cela, et ce que m’inspire la politique américaine, pour ne pas y être rivée, m’en débarrasser en me remettant au travail. Chaque jour, du matin au soir, je reprends les presque 700.000 signes de Bruits (réduire le texte sera ma dernière opération, je n’y suis pas encore), y suis entièrement plongée. Pour autant, ce que raconte le livre me semble partout. Dès que j’ouvre la radio, lis un article de journal, quel que soit le sujet, tout m’en parle, tout y revient.
Plus les jours passent, plus ma vie est absolument monacale, rivée au manuscrit. De l’extérieur, c’est probablement consternant d’ennui — de "devenir gris". À l’intérieur, le suspense est permanent pour savoir si ça va tenir, et comment. Jusqu’au bout, je ne le saurai pas. Il y a tant de choses dans ce livre que je passe mon temps à les oublier et à prendre des notes. Ça fourmille, en réalité, mais seulement dans ma tête et, je l’espère, dans mon traitement de textes. Voilà qui m’immunise, pour l’instant, contre l’angoisse dont parle Julien Delorme et contre laquelle, le reste du temps, je dois moi aussi lutter.
(Cent vues du Grand Tokyo à l’ère Shôwa : les gazomètres de Senju de Kishio Koizumi, 1930, Collection du Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum : unique sortie de la semaine dernière, à la Maison du Japon)
Le dimanche, je vais au ki-aïkido, que j’ai commencé en septembre. Depuis deux séances, enfin, je commence à retenir quelque chose. J’ai même appris, la semaine dernière, à attaquer quelqu’un et à parer le coup. Mon degré d’agressivité, sur le tatami, est nul, cependant, à tel point que ça devient drôle. J’ai peur de faire mal au partenaire (on ne dit pas adversaire), lequel, parfois ceinture noire, ne craint rien, pourtant, ce qui n’empêche pas cette évidence : la douceur comme une force, c’est, littéralement, ce que j’apprends là-bas. Non pas un discours niais, mais une réalité, ressentie dans les mouvements mêmes.
J’aime la porte rouge qui conduit au dojo.
Jeudi Le monacal, c’est bien joli, mais ne pas quitter son écran plusieurs jours de suite, à force, détruit le sommeil. C’est une journée à travailler, puis à marcher dans le froid gris de Paris, à chercher l’oxygène. Le soir, je regarde sur Arte le documentaire consacré à Vincent Lindon (homme dont a priori je ne pense rien, en dehors du fait qu’il soit un grand acteur). C’est la forme du film m’intéresse, surtout, au départ, incluant du journal filmé.
J’écoute plus que je ne regarde, cependant, ce qu’il dit de lui, du vertigineux narcissisme qui l’habite, l’emplit, le domine, le ronge, qu’il déploie — il explique dès le début qu’il se trouve extraordinairement lucide, ce qui est déjà un indice [1]. J’entends, plus que je ne regarde, un tout petit garçon souffrir, incapable de sortir de son rôle d’enfant qui a, dit-il, déçu ses parents.
Ce qui me touche, me décide à voir le documentaire jusqu’au bout, c’est ce qu’il dit de la mort. Il en parle sans arrêt. La mort le scandalise et il juge ses propres actions à cette aune, uniquement — c’est l’impression que j’en ai, en tout cas. Je trouve que cette parole est assez rare dans l’espace public. Il explique, par exemple, qu’il fait tout extrêmement vite, le matin, avec l’illusion qu’en "gagnant" du temps, il va avoir droit à une partie gratuite, comme au flipper — comme s’il combattait la mort. Je me souviens avoir été comme ça, à 16, 17 ans, ne voulant jamais "perdre" une minute de ma vie, lisant (du Genet !) aux interclasses, assise dans le couloir. Bien sûr, c’était lire sans se concentrer, obnubilée par le temps qui passe, ça ne servait pas à grand chose. Mais j’ai gardé en moi cette sorte de tension.
(On ne relèvera pas ici le fait que Bruits soit un livre "minuté" , la minute devenant, non une unité de temps, mais d’écriture...)
[1] en tous cas pour moi. Quand j’entends un homme (ce sont toujours des hommes) clamer sa lucidité, un drapeau rouge s’agite.
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