23/11/2015
Livre numérique
Diffusion : Immatériel
ISBN 979-10-90340-06-0

Jeux de lumières
dimanche 28 Juin 2020, par
Toute la semaine, je repense à cette décision de ne plus prendre les transports en commun, de marcher, à la place. Je n’arrête pas de m’en féliciter. Avant, 30 minutes de marche dans Paris pour me rendre quelque part me paraissaient beaucoup. Maintenant, un trajet à pied de 45 minutes devient un minimum, sauf à demeurer dans le quartier. Plusieurs fois de suite, je me rends aux Halles (1h30 aller retour, donc), dans le "terrain de jeu" pour reprendre une expression de Décor Daguerre. En marchant, je découvre que le MK2 passe Les Lèvres rouges ; que Beaubourg n’a pas encore rouvert (je me fais poliment refouler de l’entrée, accessible à ceux qui y travaillent seulement) ; qu’une fontaine à eau a été installée, à République, à un endroit où j’ai précisément soif ; qu’une boutique Emmaüs de vêtements, qui me fait envie depuis un moment, n’a en réalité rien qui m’intéresse, etc.
Conjointement, au fil des jours, l’apparition d’une seconde vague infectieuse à l’automne me paraît de plus en plus évidente. Est-ce que l’avenir proche va se résumer, à nouveau, à faire son kilomètre de ronde avec attestation ? Si le monde n’est pas redevenu "comme avant", loin s’en faut (et ne le redeviendra pas, on parie ?), cette époque du papier signé de sa main pour sortir me paraît déjà lointaine. Je l’ai oubliée, balayée pour mieux tenir le cap, arpenter la ville.
Le lundi, du reste, pour L’aiR Nu, nous envoyons un dossier de candidature qui, s’il est accepté, me forcera à traverser tout Paris à pied chaque jour le mois prochain. J’y faisais allusion la semaine dernière : nous avons répondu à l’appel à résidence de Matrice, une structure située dans une villa Mallet-Stevens du 15e arrondissement, l’atelier Barillet. La réponse va être très rapide. Notre projet s’appelle le lieu commun. Nous voudrions relier numérique, écriture, lecture et installation en imaginant le processus suivant : une immense page web dans laquelle le texte s’éclairerait ou s’assombrirait en fonction du nombre de gens qui viendraient le lire. Pour plus d’infos, Joachim Séné et moi avons bricolé une petite vidéo de présentation à retrouver ici.
Si nous ne sommes pas pris, nous imaginerons le dispositif ailleurs. Mais franchement, ce serait bien de rencontrer des gens très différents de nous et de nous inspirer d’un cadre pareil, avec verrières et vitraux !
La semaine est également marquée, côté écriture, par le texte que j’écris pour Pandémonium, un site conçu par le Master Écopoétique et création de l’université Aix-Marseille. Il regroupe des textes qui traitent de la question de l’isolement en demandant à chaque participant, auquel il attribue une cabine, d’imaginer son personnage enfermé dans un paquebot à la dérive. Quand Christine Marcandier m’a proposé de participer, j’ai tout de suite su ce que j’allais faire : F, l’héroïne de Bruits, doit se réfugier, à un moment, dans un paquebot, justement. J’écris le texte, l’envoie (il paraîtra lundi), passe une journée sur deux mots à y ajouter mais ce n’est pas grave : l’imaginaire du livre est relancé. Il ne faudrait plus lâcher, maintenant... Ne rien dire de plus, sinon que la lecture d’extraits du journal de Virginia Woolf me soutient.
Mercredi, je découvre un article du blog L’espadon, qui se demande s’il est possible d’envisager le vélo comme un oloé : voilà une réflexion qui arrive au bon moment, vient nourrir les miennes... Puis mon esprit, qui voudrait rester dans le paquebot, reprendre Bruits au début, rêver un peu aux oloés des autres, est absorbé en fin de semaine par l’enregistrement complet de Peurs et désirs des gens des villes, la partie de Lisières limites que j’ai écrite (voir le semainier de la semaine dernière). En fait, je crois que je vais y rester encore un peu, car j’ai envie de la sonoriser.
Tout commence par une évocation proche de la première page des Choses de Perec : un œil entre dans un décor et furète. Seulement, là où Perec le promenait dans un intérieur et l’abandonnait vite pour en venir à ses personnages, Jérôme et Sylvie, moi, je l’ai gardé et en ai fait une sorte d’entité qui découvre la lisière de l’écoquartier :
La semaine se termine par quelque chose que j’avais envie de faire depuis longtemps : revoir Fahrenheit 451, le film de Truffaut (la photo en tête de cet article en est tiré). Voilà qui coïncide avec une période où la police, devant la Maison de la radio ou le Bataclan, envoie des signaux dont on peut dire, au minimum, qu’ils sont sinistres. Comme si les images (entraperçues, seulement, car je m’éloigne de plus en plus de réseaux sociaux, je l’ai dit, et ne regarde pas les informations à la télé), coïncidaient elles aussi, glaçantes dans leurs lumières bleutées.
Je regarde aussi Deux ou trois choses que je sais d’elle, de Godard, pense à Woolf (la forme ne préexiste pas au roman, elle vient en route) et à la question du montage.
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