Fenêtres Open Space

site d’Anne Savelli

Remplir le vide

dimanche 26 Février 2023, par Anne Savelli

Une semaine face à la mer, seule, en février, dans une villa de douze chambres, quand on sait qu’une semaine identique suivra (ou presque : la maison sera habitée, et même à rester isolée au deuxième étage, la perception ne sera tout de même pas tout à fait la même, je pense), ça peut sembler vertigineux. Cette masse devant soi, malgré les repères visuels du port artificiel, en cette période de plus grande marée de l’année, pourrait faire emprise, par moments.

Dans le village d’Arromanches-les-bains, qui ne vit que du tourisme, tout est quasiment fermé. L’ancien musée est démoli, le nouveau se fait désirer. Une fois dehors, il n’y a, selon moi, rien d’autre à faire qu’admirer le paysage et lutter contre le vent, espérant la révélation — mais oui, le mot m’est venu, même pour m’en moquer ! Happée par les reflets, à marée basse, du ciel sur la plage, je marche, médusée, incapable de dire, de décrire, de formuler.

Et donc ? En dehors de ce vide, de cette absence de mots, lors des promenades, quoi d’autre ? Du silence et le grondement des vagues, en guise d’écriture ? Non, pas seulement. Sournoisement, dès que je pose un pied sur le sable, même sans croiser de chien, la musique du film Un homme et une femme fait son apparition (dans ma tête, hein : je n’ai pas encore tourné la carte, pour reprendre une expression maternelle !). C’est systématique et incontrôlé, agaçant. Rassurant, aussi. C’est comme baisser les yeux et voir, au sol, des coquillages : enfin moins d’espace, moins d’immensité.

Une fois le fantasme évacué (j’imaginais bien, ainsi, cette résidence, mais le vide est si grand, en moi et dans mon texte, pour l’instant), il faut rester ancré, c’est indispensable. Il faut accepter d’être moins puissant que le lieu.

Ces jours-ci, je dois me comporter devant mon texte comme devant ce que le paysage m’inspire (parfois, c’est un mur de brume, on ne voit rien) : ne pas avoir honte de remplir le vide. La mer me fait peur ? Pour résister, un peu de fiction. Explorer le paysage dans ce qu’il a de plus matériel, de plus concret, quitte à redevenir enfantin.

Le chantier du musée, par exemple, et son avancée grâce au matériel de Monsieur Poisson (quand je suis passée, j’aurais pu explorer le trou, il n’y avait personne. Depuis, un grillage a été placé).

L’enfantin, cependant, ne va pas sans la guerre, ici.

Car tout va à la guerre, ici, qui s’invite partout, sous les aspects les plus étranges (en tous les cas pour moi). Informatifs,

mais aussi


comment dire, "décoratifs" ? Quittant la plage, je déambule entre drapeaux, vraies ou fausses médailles en pensant à l’Histoire qui ne me semble s’écrire, toujours, que virile. Je comprends en partie pourquoi je n’ai, ces jours-ci, pas de mots.

Pour résister, remplir le vide par un peu de fiction, disais-je. Bruits doit comprendre 1440 fragments minutés ? Tapons physiquement les données temporelles de chacun des 1440 paragraphes (comme ceci : [11:04], [11:05], [11:06]...) qu’elles soient ou non suivies d’un texte, pour que chaque minute, même non écrite, se matérialise. Voilà qui prend déjà un petit moment (je fais ça en écoutant la chaîne Youtube de François Bon tous azimuts). Racontons ensuite à Christine Jeanney, qui fort heureusement vit dans les parages, que je vais "balancer pêle-mêle tout ce que je trouve là-dedans".

Christine, retrouvée à Bayeux, avec qui s’extasier devant ce livre "définitivement indisponible" d’Alexandre Périgot, Christophe Fiat et Xavier Boussiron, que nous entrelisons debout, côte à côte, au premier étage du Radar. Christine qui me fait découvrir, dans le désordre, l’artothèque et la cathédrale. Face à la mer, quand je reviens à Arromanches, restent ses mots. Le fait qu’elle se marre quand je lui raconte le chabadabada incessant ; qu’elle m’explique le rapport complexe du lieu à la guerre ; me laisse la saouler (merci !) sur ce travail de Bruits dont j’ignore s’il avance...

Il avance dans le vide, disons. Sur la table, devant la mer : vingt ans de notes, sur des supports divers, à relire. Une semaine encore pour le faire.

Galerie

Cliquez sur une photo pour avoir le diaporama

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.