parution le 03/10/2024
ISBN 978-2-490364-42-8
53 pages
12 euros

Sur l’eau et dans les rues
dimanche 21 Juin 2020, par
La semaine commence par la découverte d’un article d’Éric Schulthess sur Des oloés qui me touche beaucoup. Qu’il faille se retenir pour ne pas lire trop vite le texte, associé à des bonbons qu’on ne peut s’empêcher de manger, m’enchante parce que dans cette nouvelle version, j’ai sciemment cherché à aider le lecteur à s’y sentir à son aise. J’ai écrit une nouvelle introduction, contextualisé chaque oloé (objets d’un chapitre chacun), ajouté des propositions d’écriture, invité d’autres auteurs... Sans renier la première version, j’avais davantage l’envie d’un partage et il semblerait que ça fonctionne, en tout cas pour lui.
Les jours suivants, plusieurs choses se passent, qui me laissent penser que j’ai retrouvé mes capacités intellectuelles, à défaut d’avoir complètement récupéré physiquement et psychiquement — mais il y du mieux. Je me remets à Bruits, voilà le plus important, même si c’est encore très peu. L’imaginaire est en train de reprendre le dessus et c’est un petit miracle. Sinon, eh bien, avec Joachim Séné on peaufine la version finale de Lisières limites, le texte pour l’écoquartier de Châtenay, projet de construction et de recherche dont voici des images (à 2’43, on aperçoit Virginie Tahar, enseignante-chercheuse de l’Université Gustave Eiffel avec laquelle nous travaillons depuis deux ans) :
On prépare également un nouveau projet pour L’aiR Nu qui allie numérique, lecture, écriture et installation mais j’en parlerai la semaine prochaine, quand on aura monté le dossier.
La semaine aura également été occupée par ma nouvelle rubrique, Culture en cours, qui me réjouit : je peux matérialiser au fil des jours ce que je ne fais jamais que percevoir : que je lis plus que ce que je crois et m’intéresse à des choses différentes mais qui, reliées, tissent des fils : la vie d’un paquebot ou celle d’un imposteur, par exemple. Je dévore par ailleurs La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était de Simone Signoret, déjà lu il y a longtemps, dont je connais le chapitre Marilyn par cœur et que je relis, au départ, pour m’aider à m’endormir : j’ai besoin de me glisser dans le récit construit d’une autre vie que la mienne avant de me coucher, ça évite les montées d’angoisse. Pendant des mois, j’ai regardé des portraits documentaires, un peu toujours les mêmes, mais l’exposition aux écrans avant de se coucher est mauvaise, c’est connu. Le livre de Signoret m’aura permis de retrouver la lecture du soir et ce n’est pas un mince progrès. Je le reprends le matin et bientôt, la fin se profile. J’envisage de poursuivre par "tout Beauvoir sauf les romans" mais je commande Le lendemain elle était souriante de Signoret. Je sais, par contre, qu’il ne faut pas relire Violette Leduc avant de dormir, sinon c’est cogitations assurées. J’y gagne la perspective de soirées qui se suivent, se ressemblent et tant mieux (quand on me connait un peu c’est à la fois évident et révolutionnaire).
Samedi. Pour beaucoup, je pense, le confinement aura été l’occasion de faire le point sur sa vie actuelle, sur la façon dont elle est construite. Je n’ai pas échappé à la règle et j’ai pris, il y a déjà quelques temps, une décision un peu radicale, peut-être impossible à tenir, mais que je vais essayer d’appliquer : au quotidien, ne plus prendre les transports en commun. Je veux dire par là : PLUS JAMAIS. À la place, marcher, simplement. Cela signifie concrètement que je ne me rends pas, a priori, à plus d’une heure de marche de mon domicile. Et c’est une immense joie, une immense liberté. C’est retrouver du pouvoir dans une vie où je n’en ai quasiment pas, où 450 pages de texte sur Marilyn restent dans mon ordinateur, où je monte des projets sans savoir s’ils aboutiront. Quand j’avais 25 ans, j’avais dit (assez abruptement, d’ailleurs) à ma psychanalyste que si je continuais à 40 ans à prendre le métro, c’est que j’aurais raté ma vie. À 40 ans, ironie du sort, j’ai publié Fenêtres, écrit des années plus tôt et qui se passe sur la ligne 2. Aujourd’hui, voilà qui est décidé : dépendre du timing des autres, du nombre de gens sur le quai, des horaires des RER, des pannes et des avaries, c’est fini. C’est fini, une fois trouvée la place assise, de travailler. Fini de répondre à des mails, d’être joignable, de griffonner trois notes qui ne servent à rien et ne plus rien écrire de la journée. À partir de maintenant, je marche, un casque sur les oreilles, j’écoute de la musique et je regarde la ville. Le téléphone, qui diffuse la musique, reste au fond de mon sac à dos. Tant que je me marche, je ne suis ni joignable ni abordable. Quand je marche, du reste, je n’ai pas envie de parler, de communiquer. Je ne cherche pas l’aventure, les rencontres. J’ai juste envie de marcher, de laisser infuser en moi ce que je croise sans m’y mêler, le marché de Barbès vu de loin, les photos accrochées aux murs, comme ces Intruses, série où n’apparaissent que des femmes là où ne stationnent que des hommes ; le jardin sous le métro vers la gare du Nord qui "ouvre ses portes" pour se faire connaître et où au passage je ne vois, au contraire, que des femmes blanches entre elles ; les sex shops de Pigalle — s’ils sont à la peine ou non je n’en sais rien ; toutes les pissotières officielles, officieuses, cachées dans les coins ; la place de Clichy, pas vue depuis des mois, ses cinémas fermés encore pour quelques jours qui annoncent en énorme Vous nous avez manqué. Enfin le quartier chic des Batignolles où je me rends ce samedi.
À l’entrée du lieu qui m’accueille, je trouve ces livres :
Et alors, comment tu vas faire si on ne te propose que la grande banlieue comme espace de travail payé ? me demande une voix dans ma tête. Je ne sais pas. Marcher cinq, six heures ? S’arrêter à mi-chemin et dormir à l’hôtel ? Qu’un atelier de deux heures prenne deux jours de ma vie ? Pourquoi pas ? Elle serait là, ma liberté. Dire non, ou oui, d’accord, mais je viens comme je veux : à pied.
Les bénéfices de cette décision vont être, je crois, incalculables. Je pensais la taire jusqu’à m’être prouvée que je pouvais la tenir. Au contraire, je la claironne sur tous les toits. C’est qu’il s’agit d’écrire, en réalité. C’est toujours d’écriture dont je parle quand je dis que je veux marcher. Au retour, les Batignolles me souhaitent bon courage : je ris, je n’en ai pas besoin.
Marcher, c’est s’offrir une chance de voir ce qui se passe. En l’occurrence, en ce jour de fête de la musique, sur mon trajet du retour rien d’autre que le soleil et les groupes affairés sous le métro aérien : personne ne joue, ne danse, ne chante. C’est aussi l’occasion de s’éloigner de plus en plus des réseaux sociaux, ce qui est également mon souhait.
Avant d’en finir, ajouter que cette semaine a également été l’occasion d’une "sortie culturelle", la première depuis plus de trois mois. Carnet en main, une idée en tête pour Bruits, je me suis rendue sur la péniche La Pop, quai de Seine, qui présente chaque année une installation d’art contemporain liée à l’univers sonore. Cette fois, c’est Violaine Lochu qui investit les lieux. Avant que le soleil ne frappe les parois de la péniche la semaine prochaine, rendant la visite difficile, je m’allonge, quasi seule, pour écouter des voix d’enfants me raconter l’avenir.
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