Fenêtres Open Space

site d’Anne Savelli

Sur le fil

dimanche 19 Juillet 2020, par Anne Savelli

(nouvel exemple de livre se déplaçant sans son autrice, ici dans le TER Bourgogne, bien connu des admirateurs de ma camarade de lycée — eh oui — Valérie Xaé, que je remercie !)

Le lundi, je reprends Bruits où je l’avais laissé, ce qui signifie : relire les derniers passages retravaillés depuis le crash, remonter, paragraphe après paragraphe, vers le début du texte tout en notant des éléments (personnages, lieux, bruits, références) dans un tableau que je constitue à mesure, sur des feuilles de papier, à la main (si tout se passe comme prévu, le tableau de mots-clés de Décor Daguerre sera de la rigolade à côté). Par moments, les passages disparus la semaine dernière, et oubliés ensuite, me sautent au visage : dans le tableau, c’est comme s’ils existaient encore. Par exemple, j’avais noté le mot forêt à la main. A quoi faisait-il référence, exactement, dans cette version fantôme ? On ne le saura jamais. J’ai également entamé un tableau géant de post-it de toutes les couleurs (voir semainier de la semaine dernière) mais on ne peut pas tout faire et celui-ci reste en plan. 

Je me force un peu, je me tanne pour que ça avance. Les conditions sont optimales : il ne fait pas chaud, je n’ai mal nulle part et plus beaucoup d’obligations pour le moment. Je crois que ça suffit pour replonger dans Bruits, qui est la grande histoire de mes dernières années (histoire mentale, tournoyant dans ma boîte crânienne). De plus, en fin d’après-midi, je reçois un message de Sabine Huynh qui voudrait utiliser mon livre, Cowboy Junkies, pour l’atelier d’écriture qu’elle mène à Tel Aviv. Évidemment, ça me met en joie : qu’un livre existe toujours douze ans après sa sortie, non seulement c’est gratifiant, mais ça vient dire : il n’y a pas que le marché du livre et ses 500 nouveautés de rentrée à la file ; le monde ne se résume pas à des gens qui viennent vous expliquer que vos livres sont "trop littéraires" pour avoir le droit d’exister. Ce jour-là, ce lundi, j’ai la sensation d’une vraie journée d’écriture mais aussi d’écrivain, ce qui est très rare. Il est vraiment rare que l’écriture guide une journée, non seulement pour soi, mais également pour les autres. 

Sabine lit le livre et nous sommes émues, toutes deux. Quelques jours plus tard, elle me dira que les participants ont eux aussi été touchés par le texte. Bien le noter, bien s’en souvenir.

Le lendemain et les jours qui suivent, ah non, le corps n’est plus d’accord. On ne le tanne pas quand on est toujours pas guéri.e. Et donc, malgré la grande motivation à reprendre Bruits, est-ce l’épreuve du crash la semaine précédente je ne sais pas, le fait est, le corps ne veut plus rien savoir. Comme un insecte qui s’affole, j’ouvre dix livres à la fois, je retourne pour la première fois depuis l’avant confinement à la bibliothèque, prends des notes sur mon agenda d’écriture... Mais c’est très difficile, la fatigue psychique s’agrippe et mon texte avance d’un seul paragraphe par jour (ce qui n’empêche pas les idées d’affluer).
(Sans parler du méta-livre !)

C’est une semaine où j’écoute beaucoup de podcasts, aussi, et parmi eux un dont j’ai découvert un extrait au centre Wallonie Bruxelles. Il s’intitule Sur le fil d’Yvan Hanon et si on veut comprendre ce que c’est qu’un burn-out, je crois que c’est là qu’il faut se rendre :

Toute la semaine, je reste très marquée par certains témoignages : la femme qui raconte comment son médecin lui annonce que si elle ne se soigne pas, elle va mourir ; le chanteur qui explique que quelques semaines plus tôt, il gambadait sur scène. Brusquement, ses bras et ses jambes ne répondent plus, puis des maladies (qu’il ne détaille pas) se développent. C’est tout à fait ça, en effet : le corps ne répond plus. Le burn-out est différent d’une dépression. On peut très bien avoir un moral d’acier et rester cloué.e dans son lit, à bout de forces, alors qu’on vient de dormir... D’où la marche, par moments, pour moi. Elle évacue l’idée de fatigue physique (puisqu’on peut marcher, c’est donc que le problème ne vient pas de là) et distrait le cerveau, rassuré de ne plus avoir à répondre aux demandes. Bref... 

Le vendredi je me tanne un peu, encore, mais décide que le samedi, je me distrairai. C’est peut-être comme ça qu’il faut faire, pour l’instant.

Le samedi est plus radical, il ne dit plus peut-être mais stop. Ne plus tirer sur la corde du tout. Je termine Une femme avec personne dedans de Chloé Delaume en état d’écrasement psychique, n’en retire rien. Le seul moment où je me sens dans un état normal, c’est quand je regarde la série Mrs America. Le féminisme américain des années 70, toutes ces femmes à l’écran si différentes les unes des autres, physiquement (mais oui, ça compte) et dans leurs approches, les discussions, les engueulades sur les stratégies à adopter, les choix de vie. Même si l’héroïne, jouée par Cate Blanchett qui est également productrice, est une réactionnaire, on voit sans cesse tournoyer toutes ces femmes en quête de liberté, qui s’applaudissent, s’affrontent, se communiquent mutuellement de l’énergie. Et puis, cette série quasi parfaite (ne manquent que les références à Beauvoir) n’oublie ni I feel love de Donna Summer, ni les premières notes d’Atomic, de Blondie ni même l’immense Jeanne Dielman de Chantal Akerman.

En attendant que l’énergie (la mienne) revienne (ça risque de prendre encore un peu de temps), je découvre : 1. que la féministe Gloria Steinem a écrit un livre sur Marilyn Monroe 2. que contrairement à ce que je crois, il a été traduit en français 3. que je possède ce livre traduit, paru dans les années 80 4. que je l’ai lu.

Volte-face, c’est comme Bruits, c’est comme mes livres parus : tant que je suis là, ils n’ont pas dit leur dernier mot.

Galerie

Cliquez sur une photo pour avoir le diaporama

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.