parution le 03/10/2024
ISBN 978-2-490364-42-8
53 pages
12 euros

Totem Frame et Perec
dimanche 13 Octobre 2024, par
(Est-on à Paris ? Oui. Mettons de jolis décors pour ne pas illustrer ce qui va suivre, détourner plutôt l’attention.)
Lundi, mardi Retour à la maison, à l’écriture de Bruits. Vue de l’extérieur, si un robot volant avec une caméra me suivait dans l’appartement, cette vie-là ne semblerait avoir aucun intérêt. Je passe la journée à comparer deux versions de mon texte, à noter ce qui manque, lentement, péniblement, d’heure en heure, à découper des bouts de papier pour scotcher des phrases entre elles — contenant plus de 600.000 signes, le texte ne peut plus être appréhendé uniquement sur écran, maintenant, j’ai besoin de me servir d’une impression papier. Habillée n’importe comment (du moment que je n’ai ni chaud, ni froid), ne sachant pas au juste ce que je mange (du moment que je n’ai plus faim), je marmonne pour moi seule devant mes tas de feuilles, munie d’un stylo noir (pour modifier des éléments et noter des idées), d’un stylo vert (résumer ce qui reste à écrire), d’une paire de ciseaux et d’un rouleau de scotch.
Pendant ce temps, l’épisode de Faites entrer l’écriture que j’ai passé en version gratuite il y a quelques jours cartonne, par rapport aux précédents. Toutes proportions gardées, bien sûr, les chiffres s’envolent. Christophe Basterra est une figure très reconnue du journalisme musical et je ne suis certaine qu’il ait été souvent interrogé sur son propre parcours. Pas assez, en tout cas, d’où cet intérêt, je pense.
Pendant ce temps, également, Lier les lieux, élargir l’espace est paru et vit, sans moi, une vie que j’ignore.
Mercredi Plus j’avance dans ce travail de dentelle/truelle (reprendre les centaines de "minutes", fragments écrits au fil des années, tenter d’y tisser des fils narratifs qui me sont venus après, parfois il n’y a pas longtemps) et moins je suis contente. Plus j’avance, moins c’est cohérent. Disons tout de même que je sais pourquoi. Par moments se forment des boucles de motifs dont je ne sais encore que faire : les supprimer, les tirer vers autre chose ? Ces variations, si elles étaient musicales, passeraient, peut-être. Mais ici ? Tout cela, encore délité, éparpillé, délire sévèrement.
(Hop là, encore un peu de bibliothèque Françoise Sagan, pour changer de François Villon, dont il est beaucoup question dans "Lier les lieux")
Et puis je me juge sans cesse. Le soir, l’anxiété est à son comble. Il faut vraiment respirer longuement pour se dire que le n’importe quoi finira par faire sens. Qu’il suffit juste de travailler, d’y aller étape par étape. Sur le moment c’est dur, vraiment dur, et ce d’autant plus que le lendemain, il faut aller présenter Lier les lieux à l’Ours et la vieille grille. Je n’ai pas trop la tête à ça, j’avoue.
J’ai pensé à ce que je voulais dire et lire, tout de même (quand je dis ça, comprendre : j’y ai beaucoup pensé). Mon envie, c’est de faire entendre le passage où je parle de Janet Frame, de ce qu’elle ose écrire. Frame comme un totem, une protection. J’espère sans trop y croire que cette soirée me donnera de l’énergie — parler de son travail en prend ou en donne, ce n’est jamais neutre. Je compte aussi sur cette soupape que sera, je l’espère, la formation pour L’aiR Nu que je dois suivre juste avant, et qui concerne le montage de dossiers de subventions. Je me dis qu’elle me remettra les pieds sur terre. Mais qui sait ?
(Claro, moi et Antonin Crenn à L’Ours et la vieille grille, photo d’Eric Pessan)
Vendredi Soirée formidable, salle comble et attentive, joie de revoir des visages amis... Aucun doute : la rencontre autour de la collection Perec 53, avec Thierry Bodin-Hullin, Claro et Antonin Crenn m’a redonné du baume au coeur. Etions-nous 53, dans la salle ? Peut-être. On ne le saura pas mais je me promets de garder en tête tout ce qui m’aura été offert, d’un bloc, de le chérir et de m’en souvenir, jour après jour, jusqu’à la fin de Bruits.
Se sentir à sa place. Se sentir soutenue. Voir, pendant la rencontre, la porte du fond s’ouvrir et de nouvelles personnes entrer. Cela, sans discontinuer. Voir les sourires, les regards. Parler, ensuite, avec Claro de Bruits et... je n’en dis pas plus, mais ce qu’il me dit me procure un soulagement temporaire, c’est certain, qui m’aidera à continuer.
Allez, au boulot, maintenant !
(Thierry Bodin-Hullin par Eric Pessan)
(photo de Sébastien Bailly)