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Une autre forme de lien

dimanche 15 Septembre 2024, par Anne Savelli

Quand soudain, comme on dit un peu partout, en particulier sur Facebook, quand soudain, donc, j’ai décidé de me mettre aux arts martiaux, enfin, à un art martial en particulier, le Ki-aïkido, forme d’aïkido qui insiste sur le développement de l’énergie vitale (le Ki), la coordination du corps et de l’esprit. Puisque je reste à Paris désormais, cesse de prendre des trains pour me retrouver en résidence ici ou là (ce plaisir d’avoir ouvert l’appli SNCF par erreur et de m’être dit, non, plus besoin de prendre de billet, plus d’organisation à avoir, de valise à faire et défaire, d’adaptation permanente, toutes choses que j’ai aimées durant des années et dont je n’ai actuellement plus envie), bref, puisque je vais avoir désormais une vie plus régulière, du moins je l’espère, j’ai décidé en cette rentrée de trouver une pratique à la fois sportive, méditative et collective. La nage, c’est bien, mais elle ne me sort pas de ma solitude. Or, la solitude me pèse, ces temps-ci. Je voudrais réussir à continuer d’écrire sans me couper du monde comme je l’ai fait tout l’été.

Je pensais peut-être yoga, ou méditation et puis, tout est allé très vite. Un flyer trouvé à la bibliothèque, un tour au forum des associations et me voilà, le dimanche, dans un dojo situé à un quart d’heure de chez moi, rencontrant des personnes absolument sympathiques, attentives, accueillantes. En deux heures, j’apprends mille choses, en particulier que j’ai peur de tomber — qu’est-ce d’autre que l’aïkido qu’une chute au sol permanente ! Ça viendra, me dit le sensei, confiant. J’apprends ce qu’est un point unique et un bras incassable. Comme je suis pleine de larmes, pour reprendre une célèbre phrase d’Henri Calet, et que tout cela me secoue, je pleure pendant le cours sans ressentir de honte — pas assez, en tout cas, pour m’enfuir. Il est possible que je pleure à nouveau la prochaine fois, et cela ne me fait pas peur. Ce sont des pleurs qui lavent et permettent d’aller, le lendemain, écouter une lecture de 4:48 Psychose de Sarah Kane par Nicolas Maury à la Maison de la poésie sans sortir de la salle parce que trop bouleversée.

(Le Ki aïkido aurait-il un rapport avec l’écriture ? Bien sûr. C’est pourquoi, désormais, j’en parlerai ici.)

J’ai, dans la vie, une peur irrationnelle de me retrouver à la rue. Je crois que dans tous mes livres, ou presque, un personnage y vit. Dans Fenêtres, l’un des immeubles devant lequel le métro passe est un squat. Dans Franck, évidemment, le sujet est traité. Sur le trottoir du grand magasin de Décor Lafayette, un homme amputé fait la manche. Dans Des oloés apparaît un "homme d’Irlande" qui vit près de chez moi, debout ou assis près de son sac, sans rien dire — et c’est toujours le cas, je le croise tous les jours. Marilyn Monroe elle-même a vécu une enfance et une jeunesse on ne peut plus précaires, dont elle a éperdument cherché à se défaire, raison pour laquelle je l’ai choisie. Quant à Perec, si je me suis retrouvée en lui sur la question du lieu, du lien qu’on tisse avec lui, c’est parce que je sens, à le lire, l’insécurité qui le caractérise et comment il arrive, se forgeant sans cesse des outils, à l’approcher et la contrer, dans un même mouvement. Sans parler de Bruits, bien sûr, où une petite fille s’enfuit, où l’immeuble dans lequel elle vit, au début, se fissure.

Bref, m’inscrire à un cours d’aïkido en payant trois mois d’avance, c’est savoir, durant trois mois, où je me rendrai chaque semaine. Dimanche, j’ai entendu, texto : "Ici, tu es dans un espace protégé, tu n’as rien à craindre de personne". Pleurs, pleurs, pleurs et ensuite, le lendemain, capacité à gérer les problèmes matériels inhérents à une nouvelle activité — relancer L’aiR Nu in situ, ne pas paniquer, investir de son temps et de son énergie, y croire.

Le cadeau, ce fut, ensuite, une courte déambulation dans le quartier du local, la découverte d’un hôtel particulier tout ce qu’il y a de plus fascinant (car oui, tout en ayant peur de la rue, j’ai grandi en partie dans une ville "historique" et m’approprie très facilement, par la pensée comme par l’écriture, châteaux, maisons d’architectes, palaces et compagnie). La photo ci-dessus ne le montre pas, il s’agit là d’un autre bâtiment, mais ils sont tous deux classés Art Nouveau, liés à Victor Horta. Et Horta, bien sûr, pour les Parisiens qui prennent le métro, c’est la bouche, la porte, l’entrée de la caverne. D’une certaine manière, c’est la maison.

Rester là, s’ancrer là, se nourrir de ce que Paris a à offrir (trop, bien sûr, énormément, abondance extrême quand on commence à explorer !), des 10e, 18e et 19e au 16e, des quartiers dits défavorisés à ceux auxquels on accole, sans plus y penser, l’adjectif beaux. Entre eux, naviguer, et le reste du temps, se projeter à l’autre bout du monde : au Japon, en Nouvelle-Zélande, par exemple. La peur rétrécit le champ de vision, on le sait. Lier les lieux pour élargir l’espace : voilà ce qu’il faut, au contraire, n’est-ce pas ?

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